Comment confiner des millions de Français dépendants à l’alcool, au tabac et autres drogues ?

Un article issu du site The Conversation

Alcool

Depuis plus de deux semaines, des millions de Français dépendants à diverses substances et souvent obligés d’en consommer tous les jours sont confinés chez eux. Pour éviter de souffrir des symptômes de manque, les plus « accros » d’entre eux n’auront pas d’autre choix que de continuer à prendre l’objet de leur addiction. D’où la nécessité de ne pas stopper leur accessibilité, d’autant moins que cette situation anxiogène de pandémie virale doublée d’un confinement obligatoire n’est pas propice à la diminution de la prise de substances psychoactives.

Combien de Français sont des consommateurs quotidiens de telles substances, légales et illégales ? Quelles sont les conséquences de ce confinement sur ceux souffrant d’une addiction ?

Autant d’interrogations qui ont justifié une actualité de la Mission interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives.


Des millions de Français dépendants aux drogues légales

Au premier rang des dépendances dont souffrent certains de nos concitoyens figurent celles à l’alcool et au tabac. En effet, selon les chiffres de l’Observatoire français des Drogues et Toxicomanies, les Français ingèrent en moyenne plus de 11 litres d’alcool pur par an. Dix pour cent des adultes consomment quotidiennement des boissons alcoolisées. Bilan : au moins 41 000 décès annuels.

Les enquêtes menées à la sortie de crise établiront les effets du confinement sur cette consommation. Si les citoyens inquiets du risque de pénurie ont stocké massivement certains produits, il semblerait que les ventes d’alcool n’aient pas bénéficié du phénomène. On constate cependant que l’alcool reste un vecteur fort de lien social, même en temps de confinement, avec l’organisation, à côté d’autres challenges plus ludiques, d’« e-apéro » à distance, via les réseaux sociaux.

Un point positif du confinement pourrait être la diminution des interventions auprès de personnes alcoolisées, notamment sur la voie publique (plus de 50 000 par an). En revanche, l’usage accru d’alcool au domicile dans une situation de confinement risque aussi d’être associé à une augmentation des violences intra-familiales. C’est la raison évoquée par le préfet de l’Aisne pour proposer, avant de faire machine arrière, une mesure d’interdiction de vente d’alcool pendant le confinement.

Maintenir les approvisionnements

Selon Jean Michel Delile, président de la Fédération Addiction : « il faut assurer un approvisionnement en produits de dépendance ! Donc il est pertinent de maintenir ouverts les bureaux de tabac et commerces de boissons. L’angoisse cardinale de l’addict est le manque. Et l’angoisse, le stress sont les moteurs essentiels du besoin irrépressible de consommer. »

Chiffres d’usage alcool, tabac et cannabis. OFDT

24 000 buralistes vont ainsi permettre aux 25 % de Français fumeurs de pouvoir continuer acheter leurs cigarettes. L’État a aussi autorisé la réouverture des 3 000 boutiques de vente de cigarettes électroniques, pour éviter que certains fumeurs sevrés du tabac grâce à ce dispositif (soit près de 4 % des Français) ne rechutent.

Une autre alternative peut être trouvée auprès des pharmacies. Plus de 20 000 officines peuvent proposer une alternative au tabac en conseillant des substituts nicotiniques (remboursés sur ordonnance) aux Français qui voudraient profiter de cette situation exceptionnelle pour essayer de diminuer, voire d’arrêter, la cigarette.

Renforcer les actions d’accompagnement des fumeurs vers l’arrêt du tabac serait d’ailleurs pertinent. Rappelons que le tabac est à l’origine de plus de 60 000 décès par en France. En outre, les fumeurs pourraient être plus vulnérables aux complications en cas d’infection par le coronarovirus

Un impact sur le trafic et l’usage de drogues illégales ?

Si l’on s’intéresse aux drogues non légales, en France, 1,5 million de personnes font régulièrement usage de cannabis (parmi lesquelles se trouvent 7 % des jeunes de 17 ans), et 900 000 en consomment quotidiennement. Par ailleurs 7 % des jeunes de 17 ans sont usagers. En ce qui concerne la cocaïne, 1,6 % des Français majeurs en ont l’usage. Un chiffre qui tombe à 0,2 % pour en ce qui concerne l’héroïne.

Ces usagers ne bénéficient pas d’un système officiel de délivrance et n’auront malheureusement pas d’autre choix que de continuer à se procurer ces substances de première nécessité pour eux. Or, il est probable que le confinement ait un impact sur la disponibilité des drogues et la peur du manque est souvent la première préoccupation d’une personne dépendante, souvent prête à prendre des risques supplémentaires pour l’éviter.

« Pendant le confinement, les affaires continuent, témoigne le docteur William Lowenstein, président de SOS Addictions. Certes, l’approvisionnement est rendu plus compliqué et que les prix sont modifiés en conséquence, en raison notamment de la fermeture des frontières, mais une prime est toujours promise aux clients fidèles. Certains ont préféré faire des provisions et acheter plus de produits. Les livraisons de drogues directement au domicile des usagers pourraient être aussi impactées ».

Qu’en sera-t-il des relations intrafamiliales pour des adolescents consommateurs réguliers de cannabis confinés avec leurs parents ? En outre, la pénurie de cette substance largement consommée habituellement en milieu carcéral risque également d’accentuer des situations de tensions déjà existantes du fait de l’arrêt des parloirs.

Ainsi, Benjamin Roland maître de conférence et praticien hospitalier en psychiatrie et addictologie, rapporte que « le confinement semble avoir enrayé les trafics dans certaines institutions comme les hôpitaux psychiatriques ou les prisons. Au sein de ceux-ci, de nombreux symptômes de sevrage ont été constatés depuis une semaine. »

Un article rédigé par Nicolas Authier pour le site The Conversation

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