Comment expliquer le lien entre TDAH et troubles alimentaires : plus d’émotions négatives et plus de difficultés à réguler ses émotions ?

Addictions comportementales

Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est un trouble neuro-développemental qui se caractérise par des symptômes invalidants d’inattention et/ou d’hyperactivité-impulsivité débutant dans l’enfance (avant 12 ans) et ayant un impact significatif sur le plan personnel, familial ou social.

On sait que ce trouble est fortement associé aux troubles addictifs, qu’il s’agisse des troubles de l’usage de substances ou des addictions comportementales et qu’il est un facteur de moins bon pronostic de ces troubles lorsqu’il n’est pas repéré et pris en charge. On sait aussi que le TDAH est associé aux troubles des conduites alimentaires (TCA), notamment ceux associés à la perte de contrôle vis à vis de l’alimentation (avec un risque accru de surpoids et d’obésité à l’âge adulte), mais on ne sait pas exactement pourquoi. Plusieurs explications peuvent être proposées, parmi lesquelles :

  • les personnes avec TDAH sont plus impulsives que les autres et pourraient donc avoir plus de difficultés à contrôler leur alimentation ;
  • les troubles du sommeil, fréquents chez les personnes avec TDAH, pourraient être associés à un risque accru d’avoir une alimentation « destructurée » ;
  • enfin, elles pourraient aussi avoir recours plus fréquemment à l’alimentation émotionnelle pour « s’automédiquer » et faire face à leurs difficultés émotionnelles.

C’est à cette dernière question que les auteurs de l’étude ont voulu apporter des éléments de réponse en effectuant une revue de la littérature systématique du lien entre TDAH et troubles des conduites alimentaires avec un focus supplémentaire sur les études ayant également investigué le lien avec les difficultés de régulation émotionnelle et les émotions négatives/l’affectivité négative. Ces auteurs ont ainsi inclus les travaux portant sur le lien entre TDAH et les symptômes alimentaires au sens large, incluant ainsi les TCA classiques (anorexie mentale, boulimie nerveuse, hyperphagie boulimique), mais aussi la perte de contrôle vis-à-vis de l’alimentation, le « binge eating » et l’addiction à l’alimentation.

Dans cette revue systématique de la littérature, conforme aux recommandations en la matière (PRISMA), 38 études ont été compilées. Parmi celles-ci, la moitié a été réalisée en population clinique (patients avec TCA et/ou obésité, TDAH ou d’autres troubles psychiatriques ou addictifs) et la moitié en population générale.

La première partie de ce travail a démontré que la majorité des études témoignent de la forte association entre diagnostic ou symptômes de TDAH et troubles alimentaires :

  • (1) les symptômes de TCA sont plus fréquents chez les enfants/adolescents et les adultes ayant un TDAH ou des symptômes de TDAH, notamment la perte de contrôle vis à vis de l’alimentation ;
  • (2) chez les personnes présentant des difficultés à réguler leur alimentation ou un TCA, le diagnostic de TDAH et les symptômes de TDAH sont également plus fréquents. De manière intéressante, ces associations sont confirmées à la fois chez les enfants/adolescents et les adultes.

La deuxième partie de ce travail a mis en évidence l’importance des difficultés de régulation émotionnelle et des émotions négatives à la fois dans le TDAH et les troubles alimentaires avec 8 études ayant investigué spécifiquement ces trois facteurs. Ces études sont compatibles avec un rôle médiateur des difficultés de régulation émotionnelle et de l’affectivité négative dans le lien entre TDAH et troubles alimentaires. Autrement dit, la surreprésentation de difficultés alimentaires observées chez les personnes avec un diagnostic ou des symptômes de TDAH pourrait être expliquée par une propension plus fréquente à expérimenter des émotions négatives et de plus grandes difficultés à les réguler.

Une des limites de ce travail est de se baser sur des études transversales : dire que ces études sont compatibles avec l’hypothèse d’un modèle causal ne veut pas dire que ce modèle soit démontré ou que ce modèle soit le seul à expliquer ce lien. Pour apporter un niveau de preuve supérieur, il faudrait pouvoir évaluer, chez des personnes avec TDAH, l’impact de thérapies ciblant spécifiquement la dysrégulation émotionnelle sur les symptômes alimentaires : on s’attendrait en effet à ce qu’une amélioration des difficultés de régulation émotionnelle s’accompagne d’une amélioration des symptômes alimentaires.

Malgré ces limites, ce travail nous pousse à rechercher les symptômes de troubles alimentaires chez les personnes avec TDAH et inversement à chercher à mieux personnaliser notre prise en charge en fonction des facteurs impliqués dans cette association.

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Par Paul Brunault