Dans le domaine des troubles liés aux jeux d’argent et de hasard, le concept de rétablissement (« recovery ») a gagné en importance ces dernières décennies. Cependant, un consensus quant à sa définition fait défaut. Une revue de littérature a donc été menée pour dresser un état des lieux de la recherche sur ce sujet et en identifier les lacunes.
Pourquoi avoir fait cette recherche ?
Le jeu d’argent pathologique est défini comme une « pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu d’argent conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance, cliniquement significative » (DSM-5). Alors que l’abstinence a longtemps été considérée comme le seul objectif viable et acceptable pour un individu cherchant à résoudre sa pratique excessive du jeu, le concept de rétablissement a suscité, au cours des dernières décennies, un intérêt croissant chez les chercheurs et les praticiens. L’intérêt de ce concept est d’adopter une vision centrée sur le patient et de concevoir l’individu dans sa globalité, sans se limiter uniquement à la conduite addictive, en tenant compte également par exemple de son bien-être, son autonomie, etc.
Néanmoins, aucun consensus sur ce qu’être rétabli signifie et implique n’a encore été atteint, ce qui compromet la capacité des chercheurs à évaluer l’efficacité des interventions cliniques et freine l’avancement de la recherche sur ce sujet.
Quel est le but de cette recherche ?
Une revue de littérature a été conduite afin d’établir un état des connaissances scientifiques sur le sujet du rétablissement du trouble lié aux jeux d’argent et de hasard et d’identifier les lacunes présentes dans la littérature scientifique.
Comment les chercheurs ont-ils fait pour répondre à cet objectif ?
Les chercheurs ont identifié les publications pertinentes traitant du rétablissement dans les jeux d’argent et de hasard dans trois bases de données scientifiques et ont inclus 113 articles dans cette revue de littérature.
Les résultats de ces articles ont été soumis à une analyse conceptuelle, c’est-à-dire que les différentes notions (ex. « rechute », « rétablissement ») et mesures (ex. réduction de la pratique de jeu un mois après la thérapie) mobilisées dans chacun des articles ont été identifiées, puis décomposées pour en examiner les éléments constitutifs. Ensuite, les relations entre ces concepts et mesures ont été analysées. Enfin, les résultats de cette analyse ont fait l’objet d’une synthèse visant à restituer les tendances et lacunes de recherche en matière de rétablissement du trouble lié aux jeux d’argent et de hasard, et à en saisir les implications cliniques.
Quels sont les principaux résultats à retenir ?
L’examen des différentes définitions du rétablissement dans ces études montre des divergences significatives (en termes d’abstinence ou de jeu contrôlé, ou encore, en termes d’absence de diagnostic). En outre, les résultats des études quantitatives et de validation d’instruments ont révélé de fortes disparités dans leurs mesures du rétablissement (tandis que certaines études mesuraient le rétablissement en termes de réduction de la sévérité du trouble ou du comportement de jeu, d’autres évaluaient également l’amélioration de la santé mentale, des relations sociales, ou de la qualité de vie) ainsi que dans les variables utilisées pour opérationnaliser leurs résultats, un problème déjà souligné dans la littérature sur les troubles liés à l’usage de substances.
Un autre résultat notable est la persistance du dogme de l’abstinence, conformément au modèle médical historique de l’addiction, quoiqu’une telle conceptualisation du rétablissement soit de plus en plus controversée. Plusieurs études ont ainsi défini le rétablissement en termes de « jeu contrôlé », alors basé sur la fréquence et la durée des sessions de jeu, et sur l’argent dépensé dans le jeu. Cette approche peut sembler plus réaliste et plus attrayante pour les joueurs cherchant à se rétablir, compte tenu de la difficulté perçue à atteindre – au moins dans un premier temps – l’abstinence totale, menant possiblement à l’abandon du traitement.
Les principales limites des études quantitatives et de validation d’instruments mises en lumière par cette revue de littérature sont les suivantes :
Premièrement, une perspective seulement clinique du rétablissement (lorsque celui-ci est basé sur l’absence de diagnostic de jeu pathologique). Deuxièmement, une définition du rétablissement limitée aux symptômes et aux comportements liés au jeu. Troisièmement, l’échec à aller au-delà d’une définition fonctionnelle du rétablissement en considérant ce dernier comme une réduction tolérable ou une maîtrise suffisante des symptômes, qui permet à l’individu de mener une existence dans laquelle le jeu pathologique n’affecte plus significativement ses activités quotidiennes telles que le travail et les relations sociales. Enfin, le recours à des instruments de nature standardisée et quantitative pour mesurer des aspects pourtant subjectifs du rétablissement tels que la qualité de vie ou la satisfaction de vie, limitant ainsi la capacité de ces études à saisir pleinement les expériences nuancées du rétablissement et les enjeux individuels derrière ce processus.
Concernant les études qualitatives, la méta-synthèse de leurs résultats a permis d’identifier quatre caractéristiques principales du rétablissement, alors conçu comme un processus dynamique plutôt qu’une étape finale à atteindre :
- Le processus d’insight : l’insight correspond à l’idée d’un travail introspectif par lequel l’individu reconnaît, prend pleinement conscience et accepte son propre trouble, ainsi que des pensées, émotions et comportements qui accompagnent ce trouble.
- Le processus d’autonomisation et d’engagement : il repose sur l’engagement actif de l’individu dans son propre processus de rétablissement, impliquant l’adoption de nouveaux comportements, tant liés au jeu (arrêt ou réduction de la pratique) qu’indépendants de celui-ci (ex. s’investir dans des nouvelles activités pouvant être sportives, artistiques ou autres). Ce processus va au-delà de simplement éviter l’inactivité et de rester occupé pour ne pas/moins jouer, et implique plutôt de s’engager dans des activités qui ont du sens pour l’individu et qui s’inscrivent dans la redéfinition de son système de valeurs.
- L’amélioration du bien-être : ce processus concerne trois aspects spécifiques du bien-être : le bien-être social, qui implique de (re)trouver des relations basées sur la confiance et l’honnêteté, et qui peuvent aider le joueur à se rétablir grâce à différentes formes de soutien (écoute, empathie, conseils, etc.) ; le bien-être mental, partagé avec d’autres formes de rétablissement dans les addictions et en santé mentale en général, qui correspond au fait de se soulager de sentiments négatifs (culpabilité, stress, etc.) et de ressentir plus facilement et fréquemment des émotions positives (joie, sérénité, etc.) ; et le bien-être matériel ou financier, qui se traduit par la capacité de rembourser les dettes contractées à cause du jeu et d’atteindre un équilibre financier dans la vie quotidienne.
- La reconsidération de la question de la rechute : cette dimension est liée à la notion d’espoir. Le joueur engagé dans le processus de rétablissement doit progressivement reconnaître la nature cyclique et donc ambivalente de ce dernier, afin de comprendre et d’accepter que la rechute, bien loin d’être un échec en soi, puisse faire partie intégrante du processus.
Les points-clés à retenir :
- Le concept de rétablissement gagne en importance dans la recherche et dans la pratique clinique du trouble lié aux jeux d’argent et de hasard.
- L’absence de consensus sur ce concept se traduit par une importante hétérogénéité des définitions et des indicateurs opérationnels du rétablissement.
- Cette disparité souligne la nécessité de mener davantage d’études qualitatives pour intégrer les expériences subjectives des joueurs, permettant ainsi une conceptualisation plus globale et centrée sur le rétablissement du patient, c’est-à-dire qui considère l’individu dans ses différentes dimensions.
- Il est essentiel de parvenir à une définition unifiée du rétablissement, afin de fournir aux chercheurs, cliniciens, décideurs politiques et organismes de prévention des directives claires et cohérentes permettant de promouvoir le rétablissement, et d’offrir aux joueurs le soutien approprié.
Plus d’informations sur cette recherche :
Agathe Mansueto, Gaëlle Challet-Bouju, Jean-Benoit Hardouin et Marie Grall-Bronnec
Definitions and assessments of recovery from gambling disorder: A scoping review.
Journal of Behavioral Addictions, Mars 2024