Les auteurs rappellent les résultats de précédentes études qui confirment que la principale raison de consommer du cannabis à visée médicale est la douleur. Cela concernerait majoritairement des hommes avec comorbidités qui ont déjà utilisé des opioïdes dans le cadre de leurs douleurs.
Dans une étude sur 244 patients consommateurs de cannabis médical, 79 % le faisaient par voie fumée avec les effets néfastes associés à ce mode de consommation. Concernant l’efficacité, les études cliniques sont contradictoires ce qui rend toute conclusion difficile. Quoiqu’il en soit, certains patients consomment du cannabis et rapportent une amélioration de leurs douleurs chroniques. Il est donc utile d’étudier qui sont ces patients, leurs modes de consommations et les impacts positifs et négatifs à long terme de cette consommation.
Une étude a montré que les usagers de cannabis médical avaient une diminution des capacités mentales et physiques versus la population générale. Une étude australienne longitudinale a montré que les consommateurs de cannabis avaient un score de douleur plus important, plus d’anxiété généralisée et un plus faible score d’auto efficacité sur la douleur laissant penser que ce sont des patients plus fragiles avec des mécanismes d’adaptation plus pauvres. L’impact du cannabis dans la douleur reste donc incertain. Les auteurs de cette étude ont donc voulu savoir si le niveau de douleur était corrélé ou non à celui de la consommation et si cette consommation avait un impact sur l’état de santé de la dernière année. L’hypothèse des auteurs étaient que les plus douloureux consommeraient plus souvent du cannabis et moins de produits de santé tout en revendiquant un meilleur état de santé.
Sur le plan méthodologique, ils ont utilisé les données des dispensaires de cannabis médical situé à Los Angeles (4 millions d’habitants) entre avril et juin 2013. Sur les 476 dispensaires, ils ont fait un échantillonnage représentatif et au final, seuls 16 (28,6 %) sites ont participé. Un premier questionnaire de 5 min était proposé à la sortie du dispensaire et une récompense de 20$ en espèces était proposée aux usagers qui acceptaient l’inclusion et qui étaient inciter à répondre à une seconde enquête. Pour cette seconde enquête, ils recevaient 30$ en carte cadeau.
Parmi les données recueillies, le niveau de douleur a été évalué en se basant sur des questions de la qualité de vie (SF-36) et qui permet d’obtenir un score de 0 à 100 (100 = pas de douleur). Différentes catégories ont été définies, un score entre 50-75 = faible douleur, 25-50 = douleur modérée, <25 = douleur intense. Le score moyen dans la population générale américaine est de 75,2. Une question issue du SF-36 concernait la différence entre l’état de santé actuelle et celle de l’année dernière. La consommation de cannabis (sous toutes ses formes) sur les 4 dernières semaines étaient également demandées (usage quotidien ou non) et la fréquence journalière (moins de 3 fois ou plus). A ces questions techniques étaient présentes une partie descriptive sociodémographique.
Concernant les résultats, 84,5 % de participation à la première enquête et 70,5% des répondeurs ont réalisé la seconde. Sur les 420 participants aux deux enquêtes, seuls 295 ont répondu à toutes les questions. 125 ont oubliés de remplir soit la consommation de cannabis (nombre de jour par mois ou fréquence) soit leurs revenus. Ces personnes qui n’ont pas complété l’intégralité des questionnaires étaient majoritairement noires ou hispaniques et non diplômée. Sur les répondeurs, la moyenne d’âge était de 35 ans et ¾ étaient des hommes. Les noirs représentaient 29 %, les hispaniques 23 % et les blancs 37 %. 27 % ont le niveau secondaire, 32 % le niveau bac et 41 % ont fait des études supérieures. 61 % consommaient du cannabis médical depuis plus d’un an. 45 % consommaient tous les jours et 48 % plus de 3 fois par jour. 31 % avaient des douleurs sévères, 24 % modérées et 44 % faibles. Les plus douloureux étaient les plus âgés et consommaient plus souvent (≥ 3 fois par jour) que ceux qui présentaient des douleurs plus faibles. En revanche, sur la consommation quotidienne, il n’y a pas de différence selon le niveau de douleur.
Après régression logistique sur covariables, le niveau de douleur n’est pas corrélé avec une consommation journalière (p=0,39) mais le niveau est corrélé avec la fréquence (≥ 3 fois par jour). Dans les modèles de régression logistique ordonnée ajustés pour les covariables, il y avait une interaction significative entre la consommation quotidienne de cannabis et la douleur (p = 0,0091), de sorte que l’association entre la consommation quotidienne et l’évolution de l’état de santé dépendait du niveau de douleur. Il n’y avait pas d’association significative entre la consommation quotidienne de cannabis et l’évolution de la santé parmi ceux qui ont un faible niveau de douleur. En revanche, on la retrouve pour ceux qui ont des niveaux de douleur élevés. Cependant, il y avait une association significative entre la consommation de cannabis (≥3 fois par jour) et le changement d’état de santé (p = 0,003) après ajustement des covariables et du niveau de douleur. L’interaction entre le niveau de douleur et le temps par jour d’utilisation n’était pas significatif (p = 0,63), ce qui montre que la relation entre la consommation de cannabis ≥3 fois par jour et le changement l’état de santé de l’année dernière ne différait pas en fonction du niveau de douleur.
Cette étude ne permet donc pas de corréler niveau de douleur et la consommation journalière alors qu’elle montre un lien avec la fréquence. Alors que l’efficacité du cannabis médical continue d’être évaluée, les meilleures preuves disponibles suggère un bénéfice possible pour le traitement de la douleur chronique. Il reste néanmoins à faire la part des choses entre le récréatif et le médical. Dans cette étude, les plus douloureux consomment plus fréquemment dans la journée, ce qui pourrait laisser penser que c’est nécessaire ou à l’inverse que le cannabis ne traite pas adéquatement la douleur pour cette population. Les résultats de cette étude indiquent qu’une association entre l’aggravation de l’état de santé et la consommation quotidienne de cannabis est limitée aux personnes souffrant de fortes douleurs, ce qui suggère que la consommation quotidienne de cannabis n’améliore pas la santé de ces patients. Ces résultats vont dans le sens de précédentes études. En même temps, il est montré que les douleurs chroniques sont sources de dépression, d’anxiété et d’activité physique limitée. Nous ne savons pas si les résultats observés sont liés à la consommation chronique de cannabis, à la douleur chronique ou à l’association des deux.
Les prochaines études devront bien évaluer l’efficacité sur différents facteurs de la santé. Cette étude présente des limites qui font qu’aucune conclusion définitives sur la causalité ne peut être tirée. En effet, est-ce la forte fréquence d’utilisation du cannabis qui nuit à l’état de santé en général ou est-ce l’inverse ? Bien que les patients avaient une indication médicale, on ignore si une partie n’a pas été utilisée à des fins récréatives. De plus, il s’agit de données rétrospectives (état de santé de l’année dernière) pouvant être un biais. Aucune donnée sur le type de douleur chronique n’a été demandée. Or la gestion et l’origine (neuropathique, nociceptive) est complexe.
En conclusion, cette étude rapporte une utilisation dans la douleur chronique sans être assez précise pour pouvoir en tirer une conclusion. On ignore le type de douleur, les modalités d’administration, les traitements pharmacologiques ou non déjà utilisés auparavant. De plus, la consommation de cannabis médical cohabite souvent avec une utilisation récréative et les frontières entre thérapeutique et les utilisations non thérapeutiques du cannabis ne sont pas toujours claires. La douleur chronique reste un problème de santé publique important, les patients continueront de rechercher des traitements pour calmer leurs douleurs insatisfaites par les thérapeutiques actuelles. Des recherches supplémentaires de qualité sont nécessaires.
Pour en revenir à la France, il est important que l’expérimentation (qui bannira la voie fumée, ce qui n’est pas le cas dans cette étude) soit menée à bien avec une bonne collecte de données et de bonnes indications (échecs des autres traitements pharmacologiques ou non) si on veut en tirer des conclusions objectives. Ici, on peut s’interroger sur la moyenne d’âge (35 ans) des douloureux et d’un potentiel glissement vers le récréatif sous couvert du médical qui nuit à statuer sur la place ou non du cannabis thérapeutique dans la douleur.
* : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8782738_5e4d3d8bf0828.mission-d-information-sur-la-reglementation-du-cannabis–auditions-diverses-19-fevrier-2020?timecode=2713453 (23 min 50)
Par Matthieu Chappuy
Douleurs chroniques et consommation de cannabis, étude américaine.
A l’heure où la France envisage tout juste une expérimentation du cannabis thérapeutique/médical, avec ses défenseurs et ses détracteurs*, une équipe américaine a étudié chez les douloureux chroniques, leurs habitudes de consommation du cannabis à visée médicale.
Cannabis