La Beat Generation sous psychotropes

couverture-beat-generation L’exposition qui s’est tenue récemment au Centre George Pompidou à Paris, nous donne l’occasion de revenir sur cette “Beat generation“, qu’il est difficile d’isoler de l’usage de substances psychoactives diverses et variées qui non seulement ont jalonné les parcours de vie de ses membres mais ont également alimenter leur écriture.   “Je crois que tu pourrais dire que nous sommes une beat génération“ C’est la réponse qui fut donnée par Jack Kerouac à son ami journaliste John Cletton Holmes qui lui posa la question de savoir comment caractériser le mouvement initié par l’écrivain canadien et ses amis William S. Burroughs et Allen Ginsberg, pour ne citer que les plus fameux et représentatifs. Le journaliste solennisa le terme de “Beat Generation“ dans un article paru en 1952 dans le New York Times Magazine. Pour Kerouac, ce mot était associé à la béatitude du paumé, mais aussi au battement du cœur et au rythme du Jazz, notamment le Be-Bop dont il était fan et dont il était dit qu’il tirait sa force de l’héroïne. Ce terme de “Beat génération“ a surtout été défendu par Kerouac et a permis d’identifier un groupe d’amis dont la rencontre remontait à l’hiver 1943 à New-York. Ces personnalités assez différentes, aux écritures si dissemblables, avaient un même état d’esprit et des aspirations communes : ce désir vital d’expérimenter la vie libre sans retenue, sans tabou en opposition totale à la société traditionnelle et au conservatisme d’après guerre. Bien entendu la consommation de drogues faisait partie de ce mouvement vers la recherche d’une nouvelle vision du monde, une quête d’absolu, le désir d’explorer de nouveaux horizons de pensée, d’ouvrir les portes de la perception comme le proposer déjà l’écrivain Aldous Huxley. Même s’il ne faut pas négliger les poètes et écrivains comme Brion Gysin, Gregory Corso, Neal Cassady, Gary Snyder, Lucien Carr, Joan Vollmer ou Lawrence Ferlinghetti, que nous pouvons intégrer dans la Beat Generation, nous nous attacherons dans les lignes qui suivent au noyau dur que formèrent Jack kerouac, Allen Ginsberg et William S. Burroughs.   couverture-on-the-road “On the road“ Le chemin qu’emprunta Jack Kerouac (1922-1969) ne s’arrêta pas au voyage qu’il entreprit à travers les Etats-Unis en compagnie de Neal Cassady, gros consommateur lui aussi de psychotropes, et qu’il retranscrit dans un récit romancé écrit en 1951 mais paru en 1957. “Sur la route“, qui restera le roman emblématique de la Beat Generation, raconte les aventures des deux compagnons qui, au grès de leur pérégrinations et rencontres successives, expérimentent de nombreux et divers psychotropes (même s’il ne s’agit pas du sujet central du récit), avec en tête un nouvelle quête de soi et une nouvelle vision de la vie, placée sous le signe d’une plus grande liberté. Kerouac avait un penchant pour l’alcool et la benzédrine, amphétamine dont la consommation était relativement répandue après guerre aux Etats-Unis. Il en fit tout au long de sa vie un usage plus que récréatif. Il est dit que “Sur la route“ fut rédigé en trois semaines sous amphétamines. Bien entendu, comme pour l’ensemble de ses compagnons de route, d’autres produits étaient du voyage et notamment le cannabis qui était consommé régulièrement. Le parcours anti-conventionnel de Kerouac s’épuisa dans les dernières années de sa vie, période où il remit tout en cause et prôna alors des valeurs beaucoup plus conservatrices, très loin de l’esprit Beatnik ou hippie que revendiquait son ami Ginsberg. Il reconnaissait que sa consommation d’alcool était devenue problématique, avec des crises régulières de delirium tremens et une violence physique qu’il ne pouvait contenir. Sa difficulté à accepter le succès de son roman y était pour beaucoup. Il mourût en 1969 à l’âge de 47 ans d’hémorragies digestives dues à sa consommation d’alcool.   couverture-howl “Howl“  Le “cri“ que poussa Allen Ginsberg (1926-1997) en 1951, sous forme de poème scandé pour la première fois à la Six Gallery de San Francisco, sera considéré comme le manifeste de la Beat Generation. Le texte sera publié en 1956, mais le poète fut alors condamné pour obscénité et apologie des drogues. Malgré cela, son souffle dura et marqua le début de la reconnaissance d’un poète engagé, entre autre contre la guerre au Vietnam et pour la légalisation du cannabis. Ses consommations de psychotropes, divers et variés, étaient attachées à une quête de spiritualité et une soif de s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Pour Ginsberg la marijuana était un “outil politique, une antidote contre la merde officielle“. Il considérait que les “amphétamines donnaient une coloration métaphysique particulière aux choses“. Il alla plus loin que ses deux amis dans l’expérimentation de la psylocybine et du LSD, hallucinogène qu’il découvrit par l’intermédiaire de Timothy Leary, qui en fut le grand promoteur. La communauté Hippie a toujours considéré Ginsberg, père du fameux slogan “Flower Power“, comme un guide. Il mourut en 1997 des suites d’un cancer du foie.   couverture-junky-2couverture-le-festin-nu “Mon vieil ami opium Jones“ William S. Burroughs (1914-1997) était le plus âgé de la bande. C’est lui qui fit connaître à ses deux camarades le milieu des petits malfrats et dealers de Times square (NY) comme Herbert Huncke, milieu que l’auteur du “Festin nu“ fréquentait au début des années 40. Il dealait un peu lui-même mais surtout consommait. Il avait découvert les opiacés dont il commençait à user régulièrement. Même si son lien avec Kerouac et Ginsberg était très fort, il ne s’est jamais reconnu dans aucun mouvement et sûrement pas dans les communautés beatnik ou hippie par la suite. Il restera celui que l’on associe le plus à la consommation d’opiacés, pas seulement l’opium et ses dérivés, mais aussi des produits comme l’eucodal, le dolosal ou le palfium. Ses écrits et ses consommations ont toujours été très liés. Deux de ses romans sont emblématiques de ses consommations de morphine, d’héroïne mais aussi de cocaïne : “Junky“ publié en 1953 et “Le festin nu“ publié en 1959. Ils furent écrits en partie sous influence des produits consommés, même si Burroughs a souvent considéré que c’était loin d’être l’idéal en terme de capacité de travail et de créativité. Ses usages de psychotropes sont intimement liés aussi au parcours chaotique de sa vie. Il fut par exemple chassé en 1949 du ranch qu’il avait acheté au Texas pour avoir cultivé de la marijuana. En 1951, il fut contraint de quitter Mexico après avoir, sous effets de l’alcool, tué accidentellement sa femme Joan Vollmer d’une balle dans la tête en jouant à Guillaume Tell. En Colombie, il partit à la recherche du Yage, plante hallucinogène d’Amazonie, que l’on peut associer à l’ayahuasca, et dont il avait entendu dire qu’elle ouvrait de nouvelles perspectives mentales (Il en parle longuement dans les lettres envoyées à Ginsberg et rassemblées dans un recueil publié dix ans plus tard, en 1963 : “Les lettres Yage“). C’est au Maroc, où il s’installa en 1953, qu’il écrivit “Le festin nu“, roman qui reste encore aujourd’hui culte pour son contenu mais aussi sa forme. A Tanger, Burroughs vivait seul et ne se lavait plus. Il avait pour seule compagnie son vieil ami “opium Jones“, c’est-à dire l’héroïne qu’il s’injectait sans mesure. Il consommait aussi du maâjoun, sucrerie mêlant haschich, miel et épices. Son état physique et mental se dégrada. Il était arrivé comme il disait “au terminus de la came“. C’est en 1956 qu’un docteur anglais, le Dr Kent, l’accompagna dans une cure d’apomorphine, substitut qui lui permit de se sevrer des opiacés. Dans la dernière partie de sa vie, le romancier devint particulièrement virulent contre les psychotropes qu’il considérait comme à bannir à tout prix de son existence. Il mourut en 1997 de complications liées à une crise cardiaque.   Sources et ressources Ouvrages :
  • Sur la route, de Jack Kerouac (1957)
  • Howl, de Alen Ginsberg (1956)
  • Les lettres du Yage, de William S. Burroughs (1963)
  • Junky, de William S. Burroughs (1953)
  • Le festin nu, de William S. Burroughs (1959)
  • La beat generation. La révolution hallucinée, de Alain Dister (1997)
  • Beat Generation. Une anthologie, de Gérad-George Lemaire (2004)
  • Sur la route avec la beat generation, hors série Les Inrocks (2016)
  • Souvenirs de la Beat Generation, de Allen Ginsberg (2016)
  • Beat generation. Catologue de l‘exposition Beaubourg (2016)
 Films :
  • Burroughs :The Movie, de Howard Brookner (1983)
  • Le festin nu, de David Cronenberg (1991)
  • Beat, de Gary Walkow (2000)
  • Howl, de Jeffrey Friedman et Bob Epstein (2010)
  • Sur la route, de Walter Salles (2012)
  • Big Sur, de (2013)
  • Beat Generation, de Jean-jacques lebel et Xavier Villetard (2013)