Quand se muscler devient une drogue - Focus sur la dysmorphie musculaire ou anorexie inversée

Une synthèse parue dans les Annales Médico-Psychologiques.

Addiction au sport

INTRODUCTION

En 1993, Pope et son équipe introduisent la notion de « reverse anorexia », prémices de la dysmorphie musculaire. Ce concept désigne alors  un trouble du comportement alimentaire spécifique à la population de bodybuilders dont le but est d’obtenir une masse musculaire toujours plus développée et un corps sec, par le biais d’une diète stricte, de compléments alimentaires, de produits anabolisants et d’entrainements rigoureux. En 1997, ce concept est renommé « dysmorphie musculaire » au vu de sa proximité nosographique et symptomatologique avec les dysmorphophobies corporelles. En effet, on retrouve dans cette notion des obsessions idéatives centrées sur le corps (muscles saillants et secs), des préoccupations fixées sur des intérêts restreints (la nutrition et l’entrainement), des comportements de réassurance (« body checking »), des symptômes typiques de troubles du comportement alimentaire (régime hyper protéiné, faible en matière grasse) et des consommations de produits améliorant les performances. Ces comportements sont fréquemment associés à des affects anxio-dépressifs en cas de non-respect de ces règles, d’un retentissement social avec retrait et isolement. En 2001, Olivardia regroupent les critères diagnostics de la dysmorphie musculaire en trois symptômes :

  • préoccupation excessive sur le fait de ne pas avoir un corps assez musclé et dessiné ;
  • retentissement sur la vie émotionnelle et sociale ;
  • existence d’un lien évident entre les manifestations symptomatiques et cette obsession idéative concernant le fait de ne pas être assez musclé.

METHODE

40 articles ont été analysés à travers une base de données qui s’étale de 1993 à 2017. Ils ont été étudiés grâce à la méthodologie Prisma. Les critères d’inclusion étaient : le mot clé de dysmorphie musculaire, des outils spécifiques à l’évaluation de cette symptomatologie, des articles traitant d’une étude transversale ou expérimentale avec analyse statistique et tirés d’une revue anglo saxonne en libre accès.

RESULTATS/DISCUSSION 

La prévalence de la dysmorphie musculaire va de 5,9% à 44% dans une population étudiante en santé, nutrition et sport et elle est plus fréquente chez les hommes. Cette prévalence est bien plus importante dans la population des bodybuilders, où, par exemple, il a été retrouvé une prévalence de 100% chez les femmes qui consomment des stéroïdes anabolisants, et 80% si elles n’en consomment pas.

Il existe différentes visions nosographiques dans la littérature. Plusieurs études font le lien entre dysmorphie musculaire et trouble du comportement alimentaire, que ce soit de par leur symptomatologie (orientée sur une préoccupation corporelle liée à l’internalisation d’un idéal corporel), par leur étiologie (rôle de l’influence sociale, de l’estime de soi, du perfectionnisme, des affects négatifs et de l’insatisfaction corporelle) ou par leurs facteurs de risques communs (comparaison sociale).

Actuellement, la dysmorphie musculaire est classée dans les « TOC et apparentés » dans le DSM 5, en tant que dysmorphophobie spécifique, avec ou sans « insight ». Ses critères diagnostics sont donc similaires à ceux des dysmorphophobies corporelles : une préoccupation majeure sur l’apparence physique, une souffrance cliniquement significative avec altération du fonctionnement social, professionnel et dans d’autres domaines. Sa spécificité est liée au désir continu d’être plus musclé, qui serait en lien avec une anxiété physique sociale, nourrie par une perception d’un corps idéal. Les comportements de vérifications corporelles seraient des facteurs de gravité de la dysmorphie musculaire, corrélés avec les préoccupations concernant le poids, les formes, la dépression, les affects négatifs et la consommation de substances améliorant la performance et l’apparence.

Il existerait plus de comorbidités dans la dysmorphie musculaires que pour des dysmorphophobies corporelles simples : vulnérabilité accrue au suicide, moins bonne qualité de vie et surrisque de consommation d’anabolisants. De plus, diverses études montrent qu’il existerait chez les individus avec dysmorphie musculaire une vulnérabilité aux troubles de l’humeur, à l’anxiété, à l’insatisfaction corporelle, à la dépendance au sport (principalement bodybuilding), à l’alexithymie (difficulté à décrire les émotions et les exprimer, pensée opératoire), à une plus forte consommation de substances améliorant les performances, légales ou non, par rapport à la population générale. Au niveau développemental, les principaux facteurs de risques à des pathologies centrées sur le corps telles que la dysmorphie musculaire seraient : le harcèlement pendant l’enfance, la victimisation (physique, sociale ou verbale, par la famille ou les pairs), et la mauvaise estime de soi.

Actuellement, les médias et les pairs jouent un rôle important dans l’apparition de la dysmorphie musculaire. En mettant en avant des modèles de corps parfaits musclés et secs, la société entraine des comportements à risque de dysmorphie musculaire par le biais d’une insatisfaction corporelle et d’un désir de se plier aux « normes sociales ». Un exemple est celui de la croissance des sites pro musculation qui mettent en avant des comportements typiques de dysmorphie musculaire avec une minimalisation des risques médicaux.

Par ailleurs, l’influence psychologique de l’entrainement constitue un facteur qui peut modifier la perception de l’image corporelle de l’individu. Il a été montré l’existence d’une plus forte intolérance à l’apparence physique avec une altération du fonctionnement quotidien les jours sans pratique physique, alors qu’ils sont diminués à la suite de l’entraînement. Les sports dont les objectifs de pratique sont à but esthétique et de compétition plutôt que de performance, tel que le bodybuilding, sont considérés comme plus à risque de dysmorphie musculaire.

CONCLUSION 

La dysmorphie musculaire a de nombreux tableaux cliniques, qui peuvent expliquer le fait qu’elle donne lieu à différentes visions nosographiques. De plus, cette psychopathologie est fréquemment associée à des comorbidités et elle est souvent le marqueur d’autres troubles associés. La rapide expansion des médias et des plateformes numériques qui véhiculent des images de corps hyper musclés est probablement le facteur de risque principal dans le développement et la majoration de la dysmorphie musculaire. Un repérage précoce des troubles seraient à développer et pourraient permettre d’imaginer des stratégies de prévention et d’interventions thérapeutiques ciblées.

 

Résumé pour Addict’Aide par Solène Chimier, interne en psychiatrie à Lyon.

 

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