Une grande quantité de données scientifiques met en évidence les bénéfices physiques, physiologiques et psychologiques d’un exercice physique régulier. L’activité physique régulière a des vertus apaisantes et régulatrices de l’humeur et elle améliore le bien-être physique et psychique. Néanmoins, un exercice physique excessif peut conduire à un comportement compulsif voire une réelle addiction avec des conséquences physiques et psycho-sociales parfois sévères. Les mêmes critères diagnostiques des addictions comportementales du DSM ont été proposés pour caractériser l’addiction à l’exercice physique. Les deux échelles d’évaluation de référence sont l’Exercise Dependance Scale (EDS) et l’Exercise Addiction Inventory (EAI). Elles ont été validées dans de nombreuses langues, y compris en français.
L’équipe du Pr Gorwood (Hôpital Saint-Anne, Université Paris Descartes, Paris) a réalisé une revue systématique de la littérature visant à synthétiser tous les travaux évaluant l’addiction au sport par le biais de l’EAI ou de l’EDS, afin de déterminer la prévalence de l’addiction à l’exercice physique, et surtout de voir si certains sports sont plus à risque que d’autres sur le plan addictologique. Cette revue a consisté en une analyse de la littérature publiée jusqu’à juin 2018 dans PubMed, ScienceDirect, et des moteurs de recherche comme Google afin de recenser toutes les études rapportant la prévalence de l’addiction à l’exercice physique. La recherche a été effectuée en tapant les termes suivants dans la barre de recherche : « dépendance au sport », « addiction au sport », « exercice excessif », « addiction à l’exercice », « dépendance à l’exercice ». Seules les études employant l’EAI, l’EDS ou l’EDS-R, la version révisée de l’EDS, étaient incluses. Les études qui n’étaient pas écrites ou qui n’avaient pas d’abstract en anglais ont été exclue ainsi que les études qui avaient ciblé des populations générales d’étudiants ou qui ne se focalisaient pas sur une discipline sportive en particulier.
Les articles ont été répartis en fonction de l’échelle utilisée et du type de discipline pratiquée par la population cible, en utilisant la classification des activités sportives de Caselli et al. qui distingue des sous-groupes en fonction des caractéristiques prédominantes d’entrainement :
- Disciplines d’endurance (courses de longue distance, marathon, course cycliste, nage et triathlon),
- Disciplines de force (musculation, bodybuilding, crossfit),
- Disciplines mixtes, incluant des sports d’équipe comme le football, le basketball ou le volleyball, (jeux de ballons)
- « Santé et fitness », pour collecter les nombreux travaux effectués sur des clients de centres de fitness
- Population générale
Au total, 48 études observationnelles ont été collectées (20 utilisant l’EAI, 26 utilisant l’EDS et 2 les deux échelles). Pour les études utilisant l’EAI, la prévalence variait de 0,5% à 43,0%. Les disciplines d’endurance étaient caractérisées par un risque relatif plus élevé d’addiction à l’exercice physique (14,2%). Les disciplines mixtes (10,4%) avaient un risque relatif significativement plus faible que les disciplines d’endurance mais plus élevée que les disciplines « santé et fitness ». Les disciplines de force (6,4%) avaient un risque relatif plus faible que les disciplines « santé et fitness », mais plus élevé que la population générale. Quand l’EDS était utilisée, la prévalence variait de 0,3% dans un échantillon de population générale à 18,3% chez des athlètes de compétition impliqués dans des jeux de ballon. Cette dernière catégorie ayant le risque relatif d’addiction à l’exercice physique le plus élevé (15,3%) suivi par les disciplines de force (10,7%), puis les disciplines « santé et fitness » (6,0%) et enfin les disciplines d’endurance (3,5%). Le risque dans la population générale était de 1,9%. Les comparaisons entre le risque d’addiction à l’exercice physique respectivement évalué par l’EAI vs l’EDS montrait des différences significatives dans les disciplines d’endurance (14,2% vs 3,5%), les disciplines mixtes (10,4% vs 5,3%), les disciplines « santé et fitness » (8,2% vs 6,0%), les disciplines de force (6,4% vs 10,7%) et la population générale (3,0% vs 1,9%).
Les résultats confirment donc que le risque d’addiction à l’exercice physique est généralement plus élevé pour les pratiquants réguliers que dans la population générale. Tous les sports sont potentiellement concernés, mais certains présentent un risque plus élevé. Des facteurs spécifiques pourraient donc jouer un rôle prépondérant dans chaque catégorie sportive. Par exemple, les activités les plus exigeantes recueillaient le risque le plus élevé d’addiction à l’exercice physique et cela pourrait en partie expliquer la prévalence élevée dans les sports d’endurance. Les caractéristiques intrinsèques de l’entrainement d’endurance semblent favoriser le développement d’une tolérance physique et psychologique. D’autres facteurs importants peuvent prédisposer à l’addiction à l’exercice physique, comme les troubles obsessionnels, l’anxiété sociale, et les TCA notamment. Outre le type de discipline pratiqué, le risque peut également être dépendant de la population cible et du choix de l’instrument d’évaluation, y compris après avoir restreint les recherches à deux échelles comparables.
Les auteurs rapportent certaines limites à leurs résultats. L’hétérogénéité entre les deux échelles peut être expliquée par l’utilisation de définitions différentes d’exercice problématique : l’EDS évalue le risque de dépendance à l’exercice, décrite comme un craving à l’exercice à l’origine d’une activité physique incontrôlée, avec une présentation physique et/ou psychologique. Il est possible que la formulation des différentes questions de l’EDS rende plus évident l’aspect pathologique de chaque problème lié à l’addiction à l’exercice que l’EAI. L’absence de distinction entre athlètes de haut niveau et pratiquants non –compétitifs peut aussi jouer un rôle confondant : chez les athlètes de haut niveau, une interprétation radicalement différente des questionnaires peut être faite. L’absence de populations strictement comparables dans les études peut exercer une influence difficile à estimer. Par exemple, les « clients de centres de fitness » sont une population large et hétérogène de pratiquants incluant diverses disciplines et une implication variable dans l’entraînement. Enfin, une des principales limitations de l’étude consiste en l’absence de distinction entre hommes et femmes, d’autant plus qu’une différence notable dans les réponses a déjà été établie.
En conclusion, il s’agit de la première revue complète de prévalence de l’addiction à l’exercice physique par l’intermédiaire des deux instruments principaux d’évaluation, l’EDS et l’EAI. Les résultats mettent en évidence un risque d’addiction à l’exercice physique plus élevé chez les pratiquants réguliers que dans la population générale, avec une hétérogénéité en fonction de l’échelle utilisée et de la discipline investiguée, suggérant un besoin de stratégies de prévention calibrées à chaque discipline. L’EAI semble être un outil plus approprié pour évaluer le risque d’addiction à l’exercice physique dans des populations spécifiques, car elle permet d’identifier une proportion plus importante d’individus à risque.
Guilhem Pailllard-Brunet (interne en psychiatrie, Lyon)
Benjamin Rolland (SUAL, Lyon)