« Légaliser le cannabis: quelles implications pour la santé publique ? » Un article de référence vient de paraître dans le Lancet

A l'heure où l'Assemblée Nationale vient de voter officiellement l'expérimentation du cannabis thérapeutique à partir de 2020, il nous a paru capital de présenter une analyse exhaustive des conséquences de la légalisation du cannabis médical voire du cannabis thérapeutique dans les différents pays où il est autorisé.

Cannabis

 

Pays ayant légalisé le cannabis médical (en vert) et le cannabis récréatif
(source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Map-of-world-medical-cannabis-laws.svg)

Le cannabis est devenu une drogue illicite dans le monde après la signature de la convention unique des Nations Unies sur les stupéfiants de 1961. Malgré cela, en 2016, on estimait que près de 200 millions de personnes dans le monde avait consommé du cannabis. L’inclusion du cannabis dans la convention de 1961 a toujours été controversée car le cannabis cause moins de méfaits que les opioïdes illicites ou les stimulants. Dès les années 1970, certains pays ont limité les poursuites contre les consommateurs, voire ont mis en place une politique de tolérance, comme aux Pays-Bas, sans pour autant décriminaliser, contrairement à ce qu’on lit parfois.

 

Aujourd’hui, de nombreux pays font le choix de franchir un ou plusieurs pas de plus, à travers la légalisation du cannabis médical (cannabis et dérivés pouvant être prescrit médicalement pour usage thérapeutique) voire du cannabis récréatif (cannabis ou dérivés pouvant être acheté hors prescription médicale pour usage personnel, en dehors de toute fin thérapeutique). Cette évolution suscite de nombreux débats de société. Elle pose aussi d’importantes questions de santé publique. Plusieurs auteurs particulièrement reconnus sur le sujet, dont le Professeur de Santé Publique australien Wayne Hall, véritable « super-expert » du sujet, signent ici un article dans le Lancet qui fera probablement autorité pour les prochaines années.

 

Les auteurs commencent par rappeler les faits : après un premier boom dans les années 1970, puis un déclin relatif par la suite, l’usage du cannabis récréatif a littéralement explosé depuis le milieu des années 1990 au niveau mondial. Seule l’Asie reste peu concernée, bien qu’il n’existe aucun chiffre pour l’Inde. La France est le pays Européen où l’usage de cannabis est le plus important. Cette évolution s’est faite alors que des politiques de prohibition couvraient l’intégralité des pays concernés. De plus, la concentration en THC du cannabis n’a fait que croitre depuis les années 1970, même si on manque de données fiables pour affirmer que les niveaux de THC aujourd’hui reçus par les consommateurs sont substantiellement plus élevés que ceux reçus par les baby-boomers.

 

Ensuite, l’article rappelle les conséquences de l’usage de cannabis. Même si le cannabis provoque des conséquences extra-psychiatriques, comme des risques cardiovasculaires augmentés ou bien encore le fameux syndrome d’hyperémèse lié au cannabis, ce sont surtout les conséquences psychiatriques du cannabis qui sont pointées du doigt. Sur un cerveau d’adolescent ou de jeune adulte, en particulier en cas de prédisposition biologique, le cannabis est un puissant catalyseur de troubles psychotiques. Par ailleurs, même chez l’adulte plus âgé, le cannabis peut renforcer d’autres symptômes ou troubles psychiatriques, comme l’anxiété, la dépression, ou les idées suicidaires. Les auteurs rappellent toutefois que, comparé à l’alcool ou au tabac, les spécialistes de santé publique s’accordent sur le fait que le cannabis provoque des conséquences épidémiologiques bien moins sévères pour la santé des populations. Enfin, le risque addictif existe bien entendu, mais il concerne nettement moins d’usagers en proportion que le tabac ou que les autres drogues illicites.

 

Après un chapitre consacré au cannabis thérapeutique, où un rappel est fait des différents cannabinoïdes (principalement THC et CBD) et de leurs principales indications thérapeutiques actuelles ou potentielles, c’est surtout au cannabis récréatif que les auteurs s’attaquent dans la suite de l’article. Comme le texte le souligne, de nombreux arguments médicaux et sociétaux ont soutenu l’idée d’une légalisation du cannabis récréatif là où ces mesures se sont mises en place. En particulier, sur le plan sociétal, le souhait de mieux enrayer le trafic illégal que ce qu’ont pu faire les politiques prohibitionnistes, et ainsi d’économiser des frais de police inutiles. En matière de santé publique, c’est d’abord le souci de contrôler la composition des produits et les messages de prévention qui a guidé les politiques pro-légalisation. Aux USA, où 10 états ont légalisé le cannabis récréatif depuis 2012, la situation est particulièrement étrange, car si des lois nationales autorisent la vente et la consommation de cannabis, la loi fédérale l’interdit toujours. Sous l’administration Trump, cela crée des difficultés pour la mise en place du marché du cannabis, alors que ce « cannabusiness » a fait l’objet d’investissements massifs en vue de la légalisation.

 

Dans d’autres pays, comme l’Uruguay, la situation est très différente. Les usagers doivent s’enregistrer auprès de l’État, et l’accès au produit ne se fait qu’à travers trois possibilités seulement : 1) faire pousser son propre cannabis ; 2) s’inscrire dans un club qui produit du cannabis pour ses membres ; et 3) acheter du cannabis dans une pharmacie licenciée, mais en pratique il en existe extrêmement peu dans le pays. Il s’agit donc d’une légalisation très peu orientée « business ». Enfin en octobre 2018, le Canada a lui aussi légalisé le cannabis récréatif. Pour plus d’informations sur les légalisations comparées, vous pouvez consulter le rapport récent de l’OFDT sur le sujet : https://www.ofdt.fr/europe-et-international/projets-internationaux/cannalex/ (le Canada n’est pas traité car la légalisation a été postérieure au rapport).

 

Quels sont les effets déjà visibles de la légalisation et quels sont les impacts de santé publique ? Quels autres effets sont à envisager ?

En pratique, la légalisation aux USA a entraîné un arrêt quasi complet des arrestations liées au cannabis (hors contrôles routiers) dans les états qui ont légalisé. Le commerce illégal a lui aussi très fortement diminué, ce qui a amélioré la traçabilité de la composition des produits. C’est moins le cas en Uruguay, en raison des contraintes d’accès au produit, en particulier l’enregistrement sur un registre national. Aux USA, les prix au détail ont baissé de 50%. Les types de produits se sont rapidement diversifié, avec de nombreuses huiles, produits alimentaires, ou vaporisations au THC ou au cannabis. Globalement, les taux de THC du cannabis sont nettement plus hauts qu’avant la légalisation.

 

La première conséquence de santé publique est une augmentation de la fréquence de consommation chez les adultes. Toutefois, malgré une banalisation de la perception des risques liés au cannabis par les adolescents et les jeunes adultes, aucune augmentation de l’usage n’a été constatée dans cette population particulièrement sensible. En revanche, la détection de THC dans les morts par accident de la route a montré une augmentation sensible depuis la légalisation, mais les auteurs rappellent que cela ne signifie pas forcément que le cannabis a joué un rôle dans ces accidents, car l’usage est détecté sur une période de temps beaucoup plus longue que les heures précédant les accidents. L’impact de la hausse des taux de THC sur la santé des consommateurs n’est pas mesurable pour l’instant.

 

Selon les auteurs, des mesures de santé publique doivent impérativement accompagner les politiques de légalisation.

Comme pour l’alcool ou le tabac, ces mesures de régulation visent à limiter la tendance naturelle des producteurs à inciter à la consommation, y compris des publics en théorie non concernés comme les jeunes adultes.

Les pouvoirs publics doivent  :
– réguler la composition du cannabis, et imposer un taux suffisent de CBD, qui a un rôle protecteur face aux effets du THC.

– mener des politiques de prévention incisives, afin de limiter l’expérimentation et l’usage chez les adolescents, population particulièrement vulnérable face aux effets neurodéveloppementaux du cannabis et conséquences psychiatriques potentielles.

– inciter à la consommation de cannabis sous d’autres modes que la combustion, qui est toxique sur le plan pneumologique et cardiovasculaire.

– indiquer la composition des produits

– éduquer les consommateurs  pour connaitre les compositions plus sûres ou au contraire plus dangereuses.

– rappeler constamment les risques addictifs

– donner la possibilité pour les consommateurs de s’autoévaluer, et de contacter des services ressources en cas de premiers signes d’abus ou de dépendance.

 

Pour avoir une idée précise de la situation en France, un article en parution dans Alcoologie et Addictologie :

Par Benjamin Rolland et Michel Reynaud

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