Les pictogrammes : un moyen simple pour mieux identifier les caractéristiques addictives des jeux d'argent et de hasard

Jeux d’argent et de hasard

Les addictions sont classiquement décrites comme étant au carrefour de facteurs multiples :  facteurs liés à l’individu, facteurs liés aux propriétés addictives de la substance ou du comportement en question, et facteurs liés au contexte socio-culturel dans lequel le sujet se trouve. C’est notamment le cas pour les addictions comportementales et en particulier pour l’addiction aux jeux d’argent et de hasard (addiction aux jeux de tirage et de grattage, jeux de casino, paris sportifs, paris hippiques, poker, …). Si la plupart des travaux réalisés pour mieux comprendre les facteurs de risque de jeu d’argent pathologique ont porté sur les facteurs individuels et contextuels, peu ont porté sur les facteurs liés aux caractéristiques propres des types de jeu.

Plusieurs de ces facteurs de risque de jeu pathologique sont pourtant bien connus : jouer au loto et au rapido ne comporte pas le même risque ! Le risque augmente par exemple pour les jeux avec un délai court entre la mise et le gain, les jeux avec une fréquence d’événement élevée (par exemple : jeux avec tirages toutes les cinq minutes plutôt que toutes les semaine), les jeux accessibles 24 heures sur 24 (en ligne plutôt que hors ligne), ou les jeux permettant de parier pendant l’évènement (comme parier à la mi-temps d’un match de foot).

Ces facteurs restent largement méconnus en population générale et contribuent à une mauvaise connaissance des différences en termes de risques addictifs selon les types de jeux. Une meilleure connaissance des caractéristiques structurelles des jeux de hasard permettrait pourtant de développer des actions de prévention efficaces en population générale et auprès des joueurs à risque.

C’est tout l’intérêt de l’étude PictoGRRed, portée par Amandine Luquiens et réalisée en collaboration avec des experts internationaux et nationaux (Réseau National pour la Prévention et le Soin du Jeu Pathologique). Par analogie avec les pictogrammes PEGI qui permettent de mieux appréhender les caractéristiques des jeux vidéo, ce travail avait pour objectif de développer des pictogrammes permettant une meilleure connaissance des caractéristiques addictives des jeux d’argent et hasard. Ce travail a également pu tester l’impact de la connaissance de ces pictogrammes sur l’évaluation du risque addictif de différents jeux.

Cette étude a été réalisée en trois étapes :

  • Évaluation des principales caractéristiques addictives des jeux d’argent et de hasard en se basant sur un consensus auprès de 56 experts de 13 pays (méthode Delphi par consensus). Ceci a permis d’identifier 10 caractéristiques augmentant le risque d’addiction aux jeux d’argent et de hasard :
    • Les événements à haute fréquence.
    • Rapidité du jeu (ne permettant pas de réfléchir avant de prendre une décision).
    • Possibilité d’actions en cours de jeu pour avoir l’illusion d’un contrôle sur l’issue du jeu.
    • Mise en cours de jeu.
    • Délai court entre la mise et le gain.
    • Pertes déguisées en gain (par exemple miser 3 euro et gagner 1 euros, on a l’impression d’avoir gagné au final).
    • Quasi-gains (avoir presque la combinaison gagnante, par exemple deux 7 alignés et un troisième un peu au-dessus de cette ligne).
    • Messages diffusés pendant le jeu suggérant un contrôle du hasard.
    • Accès illimité (par exemple accès 24 heures sur 24, pratique en ligne).
    • Messages faisant la promotion de la facilité à jouer (par exemple première mise gratuite qui va faciliter l’initiation d’une première mise et donc augmenter le risque d’une escalade d’engagement).
  • Création par un collègue graphiste et expert en addictologie de 10 pictogrammes correspondant.
  • Étude en population générale de l’impact de l’exposition à ce pictogramme sur la bonne compréhension des propriétés addictives des jeux (casino en ligne ou hors ligne, paris sportifs en ligne ou hors ligne, jeux de tirage en ligne ou hors ligne, paris hippiques en ligne ou hors ligne…). Pour cela, 3 groupes ont été constitués : 300 personnes ont été exposées à ces pictogrammes, 300 au slogan classique « Jouer comporte des risques : endettement, isolement, dépendance » et 300 à aucun de ces pictogrammes ou slogan.

Le résultat principal de ce travail est que la connaissance de ces pictogrammes double les chances de bien identifier le risque addictif du jeu en question, et que l’utilisation du slogan n’est pas plus efficace que le groupe sans aucune intervention (groupe contrôle). De manière intéressante, ce groupe « contrôle » évaluait tous les jeux de manière uniforme comme ayant le même risque addictif, alors que ceux ayant eu accès aux pictogrammes avaient une vision beaucoup plus différenciée et graduelle du risque addictif et donc une vision plus proche de la réalité.

Les perspectives de recherche ultérieures consisteront à tester l’efficacité de ces pictogrammes dans le cadre de programmes de prévention plus larges, et à continuer le développement d’outils permettant une meilleure diffusion en population générale du risque addictif des jeux selon la manière avec laquelle ces jeux sont conçus.

Paul Brunault Amandine Luquiens 

 

Article publié dans Scientific Reports :

https://www.nature.com/articles/s41598-022-26963-9