Patients-experts addictions, des acteurs de santé et de prévention reconnus au sein du parcours de soin

Toutes les addictions

Facilitateur de rencontres entre soignés et soignants, d’identification positive, oreille attentive pour libérer la parole, pour éclairer, conseiller, orienter, le patient-expert addictions, – qui parle tout autant le langage des patients que celui des soignants -, bénéficie d’un savoir expérientiel et de compétences validées. Une connaissance et un recul sur sa maladie qui lui permettent notamment de détecter les signaux faibles de décrochage des soins d’une personne malade et vulnérable, pour participer à les anticiper et à les réduire.

Parmi les patients-experts, il y a le patient-expert addictions, qui bénéficie de la même hauteur de vue sur sa maladie, l’addiction, mais qui a aussi parcouru un chemin de rétablissement. Ce qui lui confère un savoir additionnel dans le cadre du parcours de soins inhérent à la prise en charge de l’addiction.

Le patient-expert ne remplace pas un soignant. Il n’est ni un thérapeute, ni un médecin. Il joue un rôle de médiateur entre le patient et l’équipe de soins. Il participe à l’amélioration de la prise en charge et du quotidien des personnes atteintes de maladies chroniques.

Grandes étapes, parcours, certification, rôles, les patients-experts et les patients-experts addictions en France sont des acteurs de santé et de prévention reconnus, de plus en plus présents en milieu hospitalier, mais aussi en entreprise.

Patient-expert, origine et certification ?

Le patient-expert est donc une personne atteinte d’une maladie chronique (addiction, diabète, cancer, …), qui a développé au fil du temps une connaissance précise et aboutie sur sa maladie. Il dispose, de fait, d’une forte expertise dans le vécu quotidien de sa pathologie, et des potentielles limitations physiques liées à son état.

On dit du patient-expert qu’il tient « une place à mi-chemin » entre les soignants et les soignés. En France, l’inclusion des patients-experts dans les parcours de soins est le résultat d’une longue histoire d’actions associatives et militantes. Une histoire rythmée notamment par la lutte contre le sida, la prise en charge du diabète, et par la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades et usagers. C’est en 2009 que la Professeure Catherine Tourette-Turgis, fonde à l’Université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui Sorbonne Université) la toute première Université des Patients. Un diplôme universitaire (DU, Masters) propose aux personnes souffrant d’une maladie chronique, un parcours de formations diplômantes en éducation thérapeutique, ou accompagnement.

« La maladie est une occasion d’apprentissage. L’activité de malade chronique est un métier à temps complet pour certains malades. Il faut vivre une autre allure de vie. L’expérience de la maladie permet le développement de la personne. On passe par des inventions de soi : l’apprentissage d’une autre temporalité, d’un autre rapport à son corps. Tout ça, ce sont des compétences » (1).

Catherine Tourette-Turgis, titulaire d’une chaire à la Sorbonne et au CNAM (« Chaire compétences et vulnérabilités ») souligne en effet que ce savoir-faire expérientiel a besoin d’être complété par d’autres savoirs plus généraux, plus académiques, et d’une validation, afin que le patient-expert puisse intervenir en sécurité dans le système de soins.

La certification des patients-experts addictions

La certification de patients-experts addictions (PEA) commence en 2020. Elle vise à légitimer une pratique existante, à développer et à sécuriser son pouvoir d’agir de concert avec les acteurs des structures de soins et d’accompagnement, à créer un environnement d’échanges sur les pratiques. “La certification Patient-Expert Addictions au carrefour du savoir expérientiel et professionnalisant, s’appuie sur un travail réflexif sur son savoir expérientiel au regard d’un référentiel d’activités et de compétences prenant en compte tous les domaines d’activités du PEA (2).

France Patients Experts Addictions (FPEA), association loi 1901 créée fin 2018  – dont un des objectifs est l’accompagnement vers la certification de patients-experts addictions -, et l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), co-certificateurs, proposent un parcours de formation certifiante intitulée « Exercer une activité de patients experts dans le champ des conduites additives ».

Cette formation certifiante dure jusqu’à 1 an ou moins, selon les expériences et les formations déjà acquises par le futur patient-expert.

En France on dénombre environ 81 patients-experts addictions certifiés qui interviennent dans des services hospitaliers, et une quarantaine en cours de certification. Les patients-experts addictions entrent dans ce cycle de formation à l’âge moyen de 52 ans. A l’AP-HP, il y a 49 patients-experts certifiés et une dizaine en formation.

Il y a aussi des patients experts non certifiés mais reconnus localement par un service d’addictologie qui interviennent également, ce qui porte le nombre de patients-experts addictions à plus de 200 en France. Nous avons des patients-experts certifiés dans toutes les régions métropolitaines, mais aussi à venir dans les régions ultramarines, à la Réunion, à Mayotte, en Martinique et en Guyane » précise Alain Dejour, responsable formation pour FPEA.

Rôle des patients-experts addictions ?

De façon concrète, le patient-expert addictions est un médiateur qui dispose de 3 qualités centrales.

Le bilinguisme : par son expérience, il parle à la fois le langage des patients, et celui des soignants. Il peut épauler ces deux parties prenantes dans leur compréhension mutuelle.

Il favorise également ce que l’on nomme l’identification positive. Ainsi, par sa capacité à se révéler, à se dévoiler dans une relation d’aide, il offre l’opportunité à une personne atteinte d’une maladie chronique de se reconnaître. Tel un effet de miroir, qui n’est pas pour autant sauveur, mais juste révélateur et éclairant.

La personne malade encore dans une période de vulnérabilité, souvent coincée dans cette forme de bulle qui l’isole et ne voyant pas toujours d’issue, peut, avec le patient-expert addictions comprendre qu’il est possible de se rétablir.

« Le rétablissement ce n’est pas uniquement arrêter la consommation de produits, ou passer à une consommation plus hédonique qu’addictive, mais c’est aussi se reconnecter au monde » souligne Alain Dejour.

Le Pr Michel Reynaud promoteur des patients-experts addictions et créateur du portail Addict’AIDE

On ne peut parler des patients-experts addictions et d’Addict’AIDE sans rendre hommage au Pr Michel Reynaud (décédé le 26 juin 2020), psychiatre, addictologue, père fondateur de l’addictologie française. C’est grâce à lui, que l’addictologie a pu devenir une discipline universitaire. Il est aussi à l’origine d’instances au cœur desquelles l’addictologie évolue désormais, notamment le Collège national universitaire des enseignants d’addictologie (CUNEA).

Il a créé le Fonds Addict’AIDE en 2014, un fonds de dotation, dont la mission d’intérêt général vise à initier et à soutenir les actions, les projets innovants et la recherche, afin de réduire les dommages liés aux addictions chez les patients et leurs proches. Un fonds qui soutient et optimise également l’action publique en matière de lutte contre les addictions.

En 2016, le portail Addict’AIDE – Le Village des addictions, qu’il a imaginé, voit le jour et donne la possibilité à chaque visiteur d’avoir accès à des informations sur toutes les addictions (produits et comportements). Ce portail permet de s’auto-évaluer quelle que soit l’addiction et de trouver un addictologue proche de son domicile ou de son lieu de travail.

Convaincu du rôle déterminant que pouvait jouer le patient-experts addictions dans l’accompagnement des personnes qui souffrent d’un trouble addictif, le Pr Michel Reynaud a encouragé la création de France Patients Experts Addictions.

Sur le portail Addict’AIDE, il a lancé en 2020 un forum qui permet d’échanger de manière anonymisé et sans jugement avec des patients-experts addictions.

Sur ce forum, les patients-experts addictions interviennent de 3 façons, par :

  • L’écoute active et les reformulations : aider la personne en vulnérabilité à avancer dans son cheminement et sa compréhension.
  • La réassurance : préciser qu’il s’agit d’une maladie, que l’on peut s’en rétablir. Explorer la situation, éclairer la personne sur cette maladie qu’elle ne maîtrise pas et qu’elle voit arriver pour elle, ou pour un proche.
  • L’accompagnement vers le soin : guider les personnes avec lesquelles ils/elles interagissent vers les professionnels soignants qualifiés.

Les patients-experts addictions en milieu professionnel

En entreprise, les patients-experts addictions interviennent sur demande des services de prévention et de santé au travail ou des employeurs afin de sensibiliser et d’agir pour prévenir les conduites addictives en milieu professionnel. Différentes actions peuvent être déployées.

  • La sensibilisation : par la création d’ateliers qui favorisent la réflexion et les prises de conscience de tous les acteurs : la direction, les managers et les collaborateurs. L’objectif est aussi de combattre les idées reçues autour des addictions.
  • La formation qui vise notamment à mettre en exergue les risques liés, tant pour la santé, le bien-être et la sécurité des collaborateurs, que pour la performance économique et sociale des organisations.
  • « L’aller-vers » les personnes concernées, sans stigmatisation, en proposant, par exemple sur l’addiction au tabac, une forme de « tabac-dating » où les collaborateurs fumeurs expriment leur projet, reçoivent de l’information et des échantillons de produits nicotiniques de substitution, une ordonnance d’initialisation et un rendez-vous de suivi, avec une co-intervention des patients-experts addictions et des infirmiers de santé au travail.
  • L’accompagnement vers le parcours de soins dont le patient-expert addictions connait les différentes modalités.

« Après 20 ans en entreprise à des postes d’encadrement puis de direction, définir le cadre dans lequel la prévention des conduites addictives prendra place est pour moi une étape essentielle : inclure ce risque dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), définir par écrit les limites autorisées (Règlement intérieur) et les conséquences de l’usage (Politique de l’entreprise). Ce cadre permet d’organiser des actions de sensibilisation et des formations destinées entre autres à repérer les signaux faibles, reflet d’un mal être individuel et travailler sur des causes qui peuvent être internes à l’entreprise dans une démarche QVCT », nous partage Hervé Kercret, patient-expert addictions.

Muriel Gitierrez (Amande épicée)

Sources :

* Vivre FM (février 2015). Interview de Catherine Tourette-Turgis

**© De Boeck Supérieur / Alain Dejour