Ce mois-ci dans DRUG AND ALCOHOL DEPENDENCE

Drug and Alcohol Dependence (« DAD » pour les intimes) est le journal officiel du prestigieux College on Problems of Drug Dependence, qui est la plus ancienne organisation américaine dédiée à promouvoir une approche scientifique des addictions. DAD est l’un des tous premiers journaux mondiaux de la discipline, juste après Addiction et Addiction Biology.

Est-ce que l’on peut « guérir » d’une addiction ? Résultats d’une méta-analyse canadienne.

addictionDans les années 1950, Morton Jellinek définissait l’alcoolisme comme une maladie chronique à rechutes. En France, à la même époque, Pierre Fouquet écrivait aux alcooliques qu’ils étaient « alcoolergiques » et devraient s’abstenir à vie de boire sous peine de rechute inéluctable.

Dans les années 2000, les données issues de la cohorte américaine NESARC ont montré une réalité en fait beaucoup plus hétérogène, et notamment que 20 à 30% des individus avec critères d’alcoolodépendance étaient en mesure de reprendre à terme et de manière durable une consommation non-problématique d’alcool.

Dans une méta-analyse coordonnée par Marie-Josée Fleury (Université McGill, Montréal, Canada), et Geneviève Belleville (Université Laval, Québec, Canada), les auteurs ont cherché à évaluer quel était le taux de rémission à long-terme chez les sujets atteints de troubles d’usage de substance. La rémission était ici définie comme la disparition durable de critères d’abus ou de dépendance. Le tabac n’était pas considéré. Les auteurs ont retrouvé, grâce aux 21 études utilisées pour leur méta-analyse, un taux de rémission vie-entière de 35 à 54,4%, avec un délai moyen pour atteindre la rémission de 17 ans. Ce chiffre paraît assez bas, mais les perdus de vue étaient considérés comme des rechutes. Les auteurs ont calculé une probabilité annuelle de rémission de 6,8 à 9%.

Cette méta-analyse est intéressante. Elle illustre à son tour la grande hétérogénéité clinique et pronostique des patients avec trouble d’usage de substance. Toutefois, les chiffres produits sont difficiles à interpréter en raison de nombreuses limitations qui sont inévitables à ce genre de méta-analyse. Les études de suivi inférieur à 3 ans (soit l’immense majorité de la littérature) ont été exclues, ce qui limite l’observabilité de cas de rémission précoce. Les substances ont toutes été considérées comme identiques et poolées, ce qui n’est probablement pas pertinent. De plus, certains calculs ne prennent pas en compte l’âge, alors qu’on sait que c’est un facteur de rémission majeur, sinon le plus important. Enfin, et c’est sûrement le plus grand regret, les auteurs ne sont pas allés regarder, ou n’ont pas pu regarder avec les données disponibles, le taux de maintien d’usage de substance chez les sujets en rémission. C’aurait été une donnée vraiment utile aux cliniciens.

 

Pas d’effet addictif supplémentaire à ceux de la nicotine pour les liquides recharges de e-cigarettes : étude animale 

e-cigaretteL’explosion de l’utilisation des e-cigarettes, et leur utilité potentielle comme arme de réduction des risques et des dommages dans l’addiction au tabac, doivent toutefois s’accompagner d’études visant à évaluer de manière toujours fines leurs risques et bénéfices spécifiques. Parmi les inconnues souvent pointées du point, les contenus des liquides visant à être vapotés sont régulièrement cités. On évoque notamment des risques potentiels et encore inconnus pour la santé. Les partisans de la e-cigarette rappellent alors souvent dans ce cas les risques très bien connus et dramatiques de la cigarette non-électronique.

Dans cette étude animale, des chercheurs de l’équipe de Minneapolis (Minnesota, Etats-Unis) ont comparé les effets addictifs des liquides de e-cigarettes à ceux de quantités équivalentes de nicotine. Plusieurs paramètres addictologiques ont été utilisés. Globalement, il n’existe aucune différence par rapport à l’effet addictif propre de la nicotine, ce qui signifie que les composés adjuvants des liquides de e-cigarette ne semblent pas avoir d’effet renforçant par rapport aux effets propres de la nicotine. On sait que les fabricants de tabac ont été accusés de rajouter des agents de texture augmentant l’attrait pour les cigarettes (http://www.cnct.fr/manipulation-chimique-65/les-mysterieux-agents-de-texture-et-de-saveur-des-produits-du-1.html). A priori, cela n’est pas suspecté pour les e-cigarettes, en tout cas dans cette étude animale. Attention toutefois cas il existe de très nombreuses marques produisant des liquides de recharge. Ces derniers peuvent même parfois être fabriqués « maison ».

 

Validation d’une échelle standardisée pour évaluer les comportements à risque de transmission infectieuse chez les usagers de drogues.

chemsexPour les soignants ou professionnels intervenant en réduction des risques auprès des usagers de drogue, l’abord des modes de consommation de substances et des risques infectieux qui en découlent est un impératif de tous les jours, que ce soit en matière de prévention, de soins, et d’éducation des usagers. Toutefois, il n’est pas certain que l’évaluation réalisée soit systématiquement complète et homogène.

Kelly Dunn et al. (John Hopkins University, Baltimore, Etats-Unis) proposent ici la validation d’une échelle baptisée BRAID (Behavioral risk assessment for infectious diseases) ce qui signifie « tresse ». En France, l’utilisation d’échelles a mauvaise presse. On trouve cela normatif. On dit que les échelles polluent la relation avec les patients ou les usagers. Bizarrement, les patients sont parfois moins catégoriques. En réalité, tout dépend de comment l’échelle trouve sa place dans le dispositif de soins. Souvent les usagers l’acceptent bien quand elle est passée sous forme d’auto-questionnaire et proposée comme faisant partie d’un bilan global. Elle peut aussi être utilisée de manière éducative, lorsque les questions posées servent à illustrer des comportements à risques qui n’étaient pas identifiés comme tels par les patients. Enfin, pour certains, elle peut être un moyen pudique d’aborder des sujets intimes pour les patients. En tous les cas, elle doit toujours faire l’objet d’un retour par le soignant ou le professionnel, afin d’être réintégrée dans la pratique professionnelle.

La BRAID aborde différentes pratiques à risque liées à l’usage de drogue (injection, sniff, échange de paille, etc…) mais aussi liées à la pratique sexuelle (fréquence des partenaires d’un soir, usage de préservatif, etc…). Franchement, quel médecin aborde systématiquement l’ensemble de ces aspects avec un nouveau patient ? Il s’agit pourtant d’informations potentiellement importantes en termes de prévention et d’éducation. Malheureusement, les échelles restent souvent le luxe du monde anglo-saxon. Elles sont rarement traduites et validées en français, ce qui permet à certains de se retrancher derrière leur grande expérience et leur savoir-faire pour surtout ne pas questionner ni faire évoluer leurs pratiques.