Miscellanées scientifiques et addictions

A côté des synthèses mensuelles des revues Addiction, Addiction Biology, et Drug & Alcohol Dependence, voici une sélection d’articles publiés dans d’autres revues scientifiques en lien avec l’addictologie. N’hésitez-pas à transmettre vos propositions d’articles, suggestions, et commentaires, à benjrolland@gmail.com

Etre un homme et/ou en surpoids est un frein pour être correctement orienté vers une consultation spécialisée pour trouble du comportement alimentaire

revue-de-presse-1  L’image des troubles du comportement alimentaire (TCA) est préférentiellement associée à celle d’une jeune fille maigre et obnubilée par le contrôle en particulier sur son corps, son alimentation, sa scolarité. Dans un article paru dans le IJED (International Journal of Eating Disorders), le journal leader sur l’étude scientifique des TCA, Chelsea MacCaughelty et ses collègues (Menninger Clinic, Houston, Texas) sont allé rechercher, au sein une population de patients hospitalisés en psychiatrie, la présence de TCA, et ont ensuite mesuré quels sujets avaient déjà été orientés vers une consultation spécialisée TCA dans le passé. Les auteurs ont évalué quels étaient les facteurs associés avec une orientation préalable.

Les résultats montrent qu’avoir été orienté(e) vers une consultation TCA dans le passé, alors qu’un TCA est présent, est préférentiellement associé avec le fait d’être une femme, et inversement corrélé avec l’indice de masse corporelle. Même si cet article paraît avoir quelques faiblesses dans la manière dont les statistiques ont été conduites et interprétées, ses résultats ont le mérite de mettre en lumière nos réflexes plus ou moins un inconscients de repérage et d’orientation des patients vers des centres spécialisés en TCA. Nous ne pensons pas suffisamment à explorer et orienter un TCA chez un homme, et/ou chez quelqu’un en surpoids.

Cet article est aussi intéressant car l’équipe qui publie est issue d’une clinique privée. En France, jusqu’à présent, les cliniques privées ne se sont jamais trop intéressées à la publication scientifique, mais il est possible et sans doute souhaitable que cela change à l’avenir, si ces structures deviennent concernées par la valorisation des activités scientifiques.

 

Pas d’efficacité supplémentaire à associer la naltrexone au bupropion pour favoriser l’arrêt du tabac

Lerevue-de-presse-2s antagonistes opioïdergiques sont parfois décrits comme les traitements universels du craving et donc de l’addiction. Outre son utilisation dans l’alcool et l’usage d’opiacés, la naltrexone a été testée dans de nombr euses études scientifiques sur le jeu pathologique, les troubles du comportement alimentaire, ou encore l’addiction au sexe. Il était donc logique que cette molécule soit testée dans la dépendance au tabac.

Le psychiatre américain Marc Mooney et son équipe (Université du Minnesota) ont réalisé un essai clinique sur 121 patients où la naltrexone était utilisée en « add-on », c’est à dire que les sujets étaient mis sous bupropion, et, pendant 7 semaines soit au bupropion, on leur ajoutait soit de la naltrexone (50mg/j), soit un placebo. Les patients n’avaient pas de patchs nicotiniques. Ils étaient suivis pendant 6 mois. Rappelons au passage que des formes combinées naltrexone faible dose / bupropion existent et sont labélisées pour traiter l’obésité (ce qui revoit au billet suivant sur la naltrexone faible dose).

Les résultats de l’étude présentée ici sont publiés dans Clinical Pharmacology & Therapeutics qui est l’une des plus prestigieuses revues de pharmacologie clinique au monde, et qui publie d’ailleurs très rarement des études en addictologie. Les auteurs montrent que la combinaison bupropion + naltrexone n’apporte aucune réduction sur le taux de fumeurs à 6 mois, en comparaison du groupe bupropion + placebo. Par ailleurs, les effets secondaires sont plus importants dans le groupe avec naltrexone. Enfin, de manière étonnante, les auteurs constatent une réduction des symptômes de sevrage dans le groupe recevant de la naltrexone. Cela semble paradoxal car la naltrexone est censée augmenter l’irritabilité et les troubles du sommeil, et aurait dû ainsi, a priori, augmenter les signes de sevrage du tabac.

Quoi qu’il en soit, les résultats de cette étude suggèrent que, jusqu’à nouvel ordre, la naltrexone ne semble pas avoir d’intérêt thérapeutique dans l’addiction au tabac.

Les auteurs de cet essai ont évalué comme critère de jugement principal le taux d’abstinence à 6 mois. Ils n’ont pas analysé le nombre total de cigarettes fumées. Lorsqu’on regarde de plus près l’action de cette molécule dans l’alcool, on voit que la naltrexone n’agit en réalité pas vraiment sur le maintien d’abstinence, mais plus sur le niveau de reprise d’alcool en cas de reprise. Dans l’alcool, la naltrexone est donc plus un réducteur de consommation. C’est d’ailleurs en partie ce constat qui a mené à la commercialisation du nalméfène, son cousin sur le plan pharmacologique. Il aurait été intéressant de voir dans cette étude si cet effet était constaté avec le tabac, même si les spécialistes du tabac estiment que la réduction de consommation de tabac n’est pas aussi utile en termes de santé publique que les stratégies de réduction de consommation d’alcool.

 

Le phénomène naltrexone faibles-doses en Norvège : un baclofène inversé. Ou le rôle croissant des réseaux sociaux dans les prescriptions hors-AMM.

C’est un revue-de-presse-3sujet qui n’est pas directement en lien avec l’addictologie, mais qui intéressera probablement les professionnels qui y travaillent. En France, tout le monde connaît l’histoire du baclofène, molécule initialement autorisée dans la sclérose en plaque et qui est aujourd’hui utilisée hors-AMM, mais de manière désormais officielle dans la dépendance à l’alcool, parfois à très fortes doses. Cette histoire a illustré la place grandissante des réseaux sociaux et des médias dans les prescriptions hors-AMM.

Peu de français connaissent le phénomène de la « Low Dose Naltrexone » (LDN) qui commence à envahir le Web anglophone et touche manifestement aussi la Norvège. En France, la naltrexone est commercialisée essentiellement pour la dépendance à l’alcool (REVIA®) en dosage unique de 50 mg. Dans d’autres pays, elle est aussi labélisée pour la dépendance aux opiacés et on trouve des formes bas dosage à 3 mg.

La LDN a été testée scientifiquement dans beaucoup de maladies chroniques associées à des symptômes invalidants (fibromyalgie, sclérose en plaques, douleur chronique, maladie de Crohn,…). Les résultats de ces études ont été à ce jour assez peu concluants. Pourtant depuis quelques années, les réseaux sociaux de patients atteints de ces différents troubles s’enflamment autour de la LDN. Des sites internet et des applications Smartphone dédiés à la LDN ont même récemment vu le jour. Sur le modèle des sites d’évaluation des restaurants ou des hôtels, le très sérieux site curetogether.com permet de noter les médicaments par les patients eux-mêmes. En février 2016, le site publiait le classement des meilleurs médicaments contre les douleurs de sclérose en plaques, et, surprise, la LDN ressortait en tête devant 24 autres spécialités.

Dans un article publié dans la revue Pharmacoepidemiology & Drug Safety, Guttorm Raknes et Lars Småbrekke (Arctic University, Tromsø, Norvège), décrivent comment cet engouement est en train d’envahir la Norvège. Ils montrent qu’une émission passée prime-time sur la principale chaine norvégienne en 2013 a fait exploser les prescriptions hors-AMM de LDN dans les mois qui ont suivi. D’un nombre de patients initialement négligeable, les prescriptions de LDN ont dépassé 15 000 patients, soit 0,3% de la population norvégienne entre 2013 et 2014. Les prescriptions sont réalisées essentiellement par des généralistes. Les indications exactes n’ont pas pu être étudiées.

Il va certainement falloir s’habituer à ce genre de phénomènes. Les patients, leurs avis, et les passions du net vont venir de plus en plus souvent heurter le rythme plus lent et plus prudent de la science médicale et des agences de régulation. Il semble d’ailleurs que les médecins généralistes, mais ils ne sont certainement pas les seuls concernés, prescrivent davantage en fonction des demandes des patients que de ce qu’ils lisent dans les revues scientifiques. Toutefois, si ces mêmes médecins refusaient systématiquement les prescriptions demandées par les patients, il est probable qu’une partie ces derniers en viendraient à s’auto-médiquer en achetant les médicaments sur internet, donc sans aucune surveillance médicale. C’est donc une question extrêmement complexe, qui est déjà, et sera plus encore à l’avenir, un véritable défi pour les systèmes officiels de régulation. En effet, avec les forces de pesanteur administrative et politique qui leur sont imposées, il n’est pas sûr que ces systèmes seront en mesure de donner des réponses rapides et adaptées à ce phénomène croissant.

 

Les données issues des objets connectés dans la recherche et le traitement des addictions : quels enjeux éthiques à l’heure du Big Data?

Aujorevue-de-presse-4urd’hui, il est rare de voir un programme de colloque ou de congrès addictologique où n’est pas abordé l’intérêt croissant des objets connectés pour l’évaluation clinique et le traitement des addictions. De plus en plus, on développe sur Smartphone ou autres objets connectés, des applications d’auto-mesure du craving ou de la consommation d’alcool, de tabac, ou de substances illicites. Ces objets connectés peuvent aussi fournir des indications sur les déplacements voire les activités des individus. Et il est facile d’imaginer quelles possibilités vont offrir les lunettes connectées qui sont en cours de développement dans différentes firmes connues. A l’heure où le Big Data devient autant une révolution sociétale qu’un immense business, il parait important qu’une réflexion éthique très rigoureuse accompagne le développement d’applications pour Smartphone ou autres objets connectés destinées à recueillir des données individuelles pour l’évaluation et/ou au traitement en addictologie. Ce sujet vaste et complexe est abordé dans un article de Hannah Cappon et al., (Australie) dans la revue International Journal of Drug Policy, qui publie comme son nom l’indique des articles relevant des politiques de santé en matière de drogues.

Les auteurs individualisent les principaux risques liés à l’utilisation d’objets connectés dans le domaine de l’addictologie, et ils proposent une liste de recommandations qui seront certainement utiles pour les cliniciens et les chercheurs du champ, mais aussi pour le législateur ou bien les différentes commissions et comités qui ont autorité en matière d‘éthique médicale en France (en tout cas pour les membres de ces comités qui s’intéresseraient à la littérature médicale). De nombreuses règles proposées par les auteurs sont similaires à ce qui existe déjà en éthique de la recherche, à savoir une délivrance préalable de l’information au patient sur les données précises qui seront recueillies, les risques liés à ce recueil et les précautions prises, ainsi que l’énumération exhaustive de qui aura accès aux données et pour combien de temps, et enfin le recueil du consentement du patient. Ils évoquent également la nécessité d’un encryptage systématique des données individuelles recueillies par ces dispositifs, ainsi qu’une attention particulière soit apportée à ce qu’un accès égal à ces systèmes existe, indépendamment de considérations économiques ou de groupes ethniques. Enfin et surtout, comme pour ce qui existe avec les médicaments, les auteurs estiment que toute application ou tout programme de soins ou de recherche utilisé sur ces appareil ne devraient être commercialisé et utilisé que si une démonstration scientifique de l’efficacité et de la sécurité de cette application ou de ce programme a été obtenue.