Quel avenir pour le cannabis médical en France ?

Un article rédigé par Aurélien Bernard du site Newsweed.

Cannabis

La France expérimentera la mise à disposition de cannabis thérapeutique début 2021. Réservée pour l’instant à 3 000 personnes et 5 pathologies, l’expérimentation doit valider le circuit de prescription et de distribution de cannabis médical, puis déboucher sur une généralisation après 2 ans de tests. A la lumière des exemples étrangers, quels écueils faudrait-il éviter pour faire du programme de cannabis médical français un succès ?

 Le Royaume-Uni, du cannabis médical légal mais indisponible

Le Royaume-Uni a légalisé le cannabis médical en 2018. En juillet 2020, le Royaume n’avait toutefois enregistré aucun nouveau patient[i]. Malgré la légalité du médicament et les possibilités d’import, les médecins britanniques ont rencontré de nombreux obstacles pour prescrire des traitements à base de cannabis, en partie par manque de formation mais aussi en raison d’une forte incitation à ne pas prescrire de cannabis, le National Health System (NHS) considérant que les preuves cliniques sont pour l’instant insuffisantes pour la prescription du cannabis médical.

Seuls deux enfants atteints d’épilepsie réfractaire aux traitements habituels ont été autorisés temporairement à importer de l’huile de cannabis des Pays-Bas. L’un deux, Billy Caldwell, souffrant d’épilepsie sévère, a finalement pu en novembre 2020 recevoir une prescription « publique »[ii] et vu son traitement financé par le NHS, le système de santé britannique.

Les patients britanniques plus fortunés ont toutefois la possibilité de se tourner vers des prescriptions privées, qui leur coûtent entre 600 et 2 000£ par mois, une somme inabordable pour de nombreux malades.

En réaction à cet échec, un programme-pilote intitulé projet TWENTY21[iii] a lancé une initiative pour fournir 20 000 patients, à leur frais mais avec des coûts limités à 150£ par produit par mois. Une seconde initiative, la Cancard[iv], fournit aux patients britanniques une carte médicale de cannabis. En cas de contrôle policier, cette carte indique aux forces de police que la personne en question est bien utilisatrice « enregistrée » de cannabis médical et les incite à ne pas poursuivre plus avant.

Le Canada, 20 ans de recul

Le Canada a légalisé l’usage médical du cannabis en 2001 suite à plusieurs contestations judiciaires de patients cultivant du cannabis pour leur maladie. Les malades se fournissent alors auprès de producteurs informels ou de Clubs de compassion, qui existent depuis déjà 20 ans à l’époque, et qui produisent et distribuent du cannabis aux malades.

Le programme actuel de cannabis médical date de 2016 et a évolué suite à de nombreux procès. Les producteurs sous licence tels qu’on les connaît aujourd’hui sont apparus en 2013. Santé Canada centralise les autorisations de production et de distribution et assure ainsi plutôt la qualité des produits et la sécurité des installations. La définition légale du cannabis médical s’étend depuis 2015 à toutes formes de traitements, y compris, mais sans s’y limiter, les brownies, les thés ou les huiles.

Les inscrits au programme médical peuvent cultiver leur propre cannabis après dépôt et validation d’une demande à Santé Canada. Le nombre de plantes que les patients peuvent cultiver dépend de la quantité de cannabis prescrite par mois par le médecin et peut aller jusqu’à 99.

Le cannabis médical au Canada est prescrit par les médecins sous forme d’un document médical officiel. Une récente étude[v] a néanmoins montré que seuls 37% des Canadiens faisant un usage médical du cannabis avaient une ordonnance.

La plupart des patients (83%) estime qu’il existe une stigmatisation chez les médecins traditionnels concernant la consommation de cannabis médical et 57% ont du mal à trouver un professionnel de la santé à qui parler de l’obtention d’un document médical. Par ailleurs, 60% se fournissent au marché noir en raison des obstacles à l’accès au marché légal, notamment le coût, les difficultés pour obtenir un document médical et la difficulté à naviguer dans les « process » bureaucratiques.

Le coût est considéré comme le plus grand obstacle poussant les patients à abandonner le système de cannabis médical et c’est la principale raison pour laquelle les patients changent de source.

L’Uruguay, plusieurs voies d’accès au cannabis

L’Uruguay a légalisé tous les usages du cannabis en 2013.

Les patients doivent s’inscrire auprès de l’Institution de réglementation et de contrôle du cannabis (IRCCA) par l’intermédiaire de leur bureau de poste local. Une fois enregistrés, ils peuvent ensuite se procurer du cannabis médical ou ses produits dérivés en pharmacie.

A l’origine, seuls deux types de cannabis étaient légalement disponibles à l’achat, avec une puissance relativement faible de 2% de THC (et 5 à 7% de CBD). Les quantités prescrites étaient limitées à 10 grammes par semaine et 40 grammes par mois et par consommateur. Le prix légal était (et est encore) très attractif, moins de 1€ par gramme, afin de sortir le maximum de personnes du marché noir. Aujourd’hui, plus de 43 000 personnes sont inscrites au programme national de cannabis médical, soit 1,23% de la population uruguayenne.

De nombreuses pénuries ont néanmoins limité l’accès au cannabis médical en pharmacie, tout comme un choix limité en variété. Le gouvernement a ouvert au fur et à mesure le nombre de producteurs autorisés de cannabis et le catalogue produit, avec notamment des produits plus forts en THC (jusqu’à 9%).

Les personnes qui ne trouveraient pas ce dont elles ont besoin en pharmacie peuvent aussi s’inscrire dans un des 160 Cannabis Clubs du pays ou cultiver chez elles leurs propres plantes.

L’Allemagne, le pionnier européen

S’il est un pays qui ressemble davantage à la France, c’est l’Allemagne. Depuis 2017, chaque médecin est autorisé à prescrire des médicaments à base de cannabis, y compris des fleurs de cannabis, des extraits et des cannabinoïdes individuels, entièrement importés pour l’instant. Le cannabis médical peut y être remboursé par l’assurance maladie à certaines conditions.

Jusqu’à mi- 2020, le cannabis et les cannabinoïdes sont comparativement chers en Allemagne : en moyenne, les fleurs de cannabis coûtent 23 € le gramme, un prix qui comprend aussi une taxe de 100% que les pharmacies peuvent ajouter au prix d’achat du produit. En cas de refus de remboursement du traitement, les malades sont contraints de s’approvisionner au marché noir, même si leur médecin juge le traitement indispensable.

Le prix élevé rend les traitements à base de cannabis peu attrayants pour les médecins qui ont un budget annuel de prescription limité. Si ce budget est dépassé, le médecin peut en effet recevoir une amende.

L’Allemagne a récemment amendé sa loi pour réduire le prix des traitements à base de cannabis, favoriser le remboursement et fixer un coût avec un prix maximum d’achat du cannabis aux producteurs à 2,30€ le gramme.

Le pays a aussi posé les bases de sa culture nationale de cannabis en attribuant les premières licences de production à 3 entreprises (Aurora, Aphria, et Demecan[vi]). Le projet a pris du retard, notamment à cause du Covid-19, et si les espoirs étaient de voir arriver les premières fleurs de cannabis allemand en pharmacie fin 2020, il semblerait que ce sera plutôt au premier trimestre 2021.

Les Etats-Unis, frontière floue entre cannabis médical et récréatif

Aux USA, le cannabis médical n’est pas vendu en pharmacie. Il est en effet illégal au niveau fédéral et donc distribué dans des dispensaires, les mêmes endroits que le cannabis récréatif dans les Etats où ce dernier est légal.

La frontière floue entre médical et récréatif, où les indications de prescription étaient très larges, a par exemple poussé la Californie à légaliser le cannabis. S’il n’y a pas de différence entre les produits vendus au guichet récréatif et au guichet médical d’un dispensaire, ce dernier est toutefois moins cher pour les malades disposant d’une prescription. Certaines taxes ne s’appliquent pas au cannabis médical pour réduire le coût pour les patients.

Dans les Etats où seul le cannabis médical est légal, les principaux freins reposent finalement sur la disponibilité réelle du cannabis, parfois la limite en THC des produits ou des contraintes sur la forme sous laquelle il est vendu, de même qu’une insuffisance du nombre de pathologies rendant éligibles la prescription.

En Géorgie par exemple, l’huile de cannabis a été légalisée en 2015 avec une limite de 5% de THC. La loi autorisait la possession d’huile sans toutefois offrir la possibilité d’en acheter dans l’Etat ou de cultiver du cannabis. De nombreux patients ou parents de patients étaient donc contraints d’aller dans les Etats voisins et d’acheter de l’huile, parfois à plus de 5% de THC selon leurs besoins, se mettant de fait dans l’illégalité au moment de franchir la frontière fédérale de l’Etat. En avril 2019, l’Etat a finalement légalisé la culture de cannabis et la vente d’huile à faible dosage en THC (5%).

La Floride a légalisé le cannabis médical sous toutes ses formes en 2016. Au moment d’écrire la loi, le législateur a néanmoins retiré la possibilité de fumer les fleurs de cannabis, une méthode de consommation certes discutable pour du cannabis médical mais largement répandue. Des patients ont donc poursuivi en justice leur Etat pour avoir interdit le cannabis fumé alors que cela avait été voté. L’Etat leur a donné raison et a réhabilité cette méthode de consommation[vii].

Conclusion

De ce rapide panorama nous pourrions conclure qu’il existe davantage de possibilités d’échouer à mettre en place un système qui fonctionne pour les malades que de réussir. Les principaux obstacles résident dans :

  • Le manque de formation des professionnels de santé
  • Des difficultés bureaucratiques pour les patients
  • Des points de distribution trop peu nombreux
  • Un éventail de pathologies trop restreint
  • Un manque de diversité des produits
  • Des pénuries de produit soit du fait d’une dépendance à l’importation soit par une production nationale inexistante et insuffisante

L’autoculture reste aussi un sujet dans de nombreuses régulations du cannabis médical. Si elle permet aux patients d’accéder à du cannabis à moindre coût, avec une qualité qu’ils contrôlent eux-mêmes et des variétés / produits dérivés qu’ils maitrisent et qui leur conviennent, sans parler du plaisir retiré à s’occuper de ses plantes, les autorités craignent souvent que ces cultures échappent aux patients et finissent par alimenter le marché noir. Ce qui pourrait revenir à se poser une question plus large : comment attaquer le marché noir ?

Un article d’Aurélien Bernard, fondateur du site Newsweed. 

Aurélien a créé Newsweed, site de référence sur l’actualité légale et mondiale du cannabis, en 2015. Particulièrement intéressé par les régulations internationales et les différents marchés du cannabis, il a également une connaissance extensive de la plante et de ses utilisations.

[i] https://www.theguardian.com/politics/2020/jul/01/anger-at-nhs-failure-to-prescribe-cannabis-oil-medicines

[ii] https://www.newsweed.fr/royaume-uni-lhuile-de-cannabis-rendu-a-billy-caldwell-12-ans-et-epileptique/

[iii] https://www.drugscience.org.uk/twenty21-is-now-live/

[iv] https://www.cancard.co.uk/

[v] http://patientaccess.ca/survey

[vi] https://www.newsweed.fr/allemagne-licences-culture-cannabis-medical/

[vii] https://fr.scribd.com/document/380183921/Medical-Marijuana-in-Florida-Order-and-Final-Judgement