Quelle place de la sensitivité anxieuse dans la prise en charge du sevrage tabagique ?

Tabac

La sensibilité à l’état d’anxiété ou sensitivité anxieuse (anxiety sensitivity) renvoie à la propension à redouter les symptômes de l’anxiété, qu’ils soient d’ordre somatique ou mental. Cette caractéristique, qui conduit également à anticiper et avoir une impression négative de son état anxieux, occupe une place importante dans les problématiques de santé mentale, allant des troubles anxieux aux problématiques dépressives, en passant par les troubles liés à l’usage de substances (Naragon-Gainey, 2010). En outre, plusieurs auteurs, dont récemment Martínez-Vispo et ses collègues, suggèrent que ce rapport de l’individu à son propre état anxieux est impliqué dans l’efficacité de la prise en charge, comme dans le cadre d’un sevrage. L’état émotionnel apparaît donc important tant pour la compréhension d’un état clinique, de sa vulnérabilité que de son accompagnement. Il semble être un indicateur de l’observance et du succès thérapeutique. Les recherches conduites sur la sensitivité anxieuse mettent en avant qu’il s’agit d’un construit probablement à plusieurs dimensions : la sensitivité d’ordre physique à propos des symptômes corporels d’anxiété, d’ordre cognitif à propos de la perte de contrôle ou de ses performances, ou bien encore d’ordre social faisant référence à la crainte qu’autrui se rende compte des symptômes d’anxiété vécus et potentiellement exprimés.

Dans le cadre d’un accompagnement au sevrage tabagique, aller jusqu’au bout d’un traitement permet d’augmenter les chances de succès dans l’arrêt de la consommation. Si cela paraît évident de prime abord, plusieurs études ont souligné le rôle important qu’avait la conduite jusqu’à leur terme des programmes d’aide à l’abstinence (Dorner et al., 2011 ; Garey et al., 2020). En effet, les personnes présentant un tabagisme important rapportent des difficultés à arrêter leur consommation de cigarettes, et ce d’autant plus que leur fonctionnement émotionnel est caractérisé par de la sensitivité anxieuse. Lorsque cette difficulté émotionnelle est importante et reste maintenue entre le début et la fin d’une prise en charge, elle risque de considérablement réduire les taux d’abstinence après le traitement.

Dans une nouvelle étude publiée dans le journal « Addictive Behaviors », Marinez-Vispo et collaborateurs (2021) se sont intéressés à la relation pouvant exister entre différentes facettes de la sensitivité anxieuse et l’engagement complet dans un traitement de sevrage tabagique, avec un suivi à 3, 6 et 12 mois. Ils ont pour cela suivi plus de 200 personnes fumeuses d’âge adulte après un traitement de type cognitivo-comportemental. La psychothérapie s’est déroulée durant 8 séances hebdomadaires réalisées en groupes. Il est à noter qu’aucun traitement de substitution et aucune médication n’a été proposée dans cette étude.

De manière générale, les résultats indiquent (et donc soutiennent) que la réussite du traitement psychothérapeutique était d’autant plus efficace qu’il avait été suivi jusqu’à son terme.  Concernant la sensitivité anxieuse, l’étude met en avant que la dimension de préoccupation liée aux symptômes physiques prédit une plus faible abstinence au fil du temps. Ce résultat n’est pas retrouvé avec les autres dimensions. Les auteurs suggèrent que cette implication de la sensitivité pour les manifestations physiques de l’anxiété serait en lien avec les hauts niveaux de peur d’expérimenter des sensations désagréables que rapportent les personnes durant leur sevrage. En effet, des études ont pu faire état de stress et de menaces intéroceptives associés à l’abstinence au tabac qui auraient un effet négatif sur la motivation à l’arrêt de la consommation (Farris et al., 2015 ; Guillot et al., 2016 ; Zvolensky et al., 2019).

Ces travaux soulignent l’intérêt d’envisager des modules thérapeutiques centrés sur les sensations physiques de l’anxiété et les peurs intéroceptives qui sont présentes chez certaines personnes qui présentent des difficultés à l’arrêt du tabac. Il pourrait notamment s’agir d’exercices thérapeutiques portant sur l’exposition intéroceptive ou bien encore le contrôle ou l’acceptation des symptômes anxieux.

 

Référence de la publication traitée :

Martiez-Vispo, C., et al., (2021). Treatment completion and anxiety sensitivity effects on smoking cessation outcomes. Addictive Behaviors, 117, 106856. https://doi.org/10.1016/j.addbeh.2021.106856

Bibliographie associée :

Dorner, T. E., et al., (2011). Predictors of short-term success in smoking cessation in relation to attendance at a smoking cessation program. Nicotine & Tobacco Research, 13(11), 1068-1075, 10.1093/ntr/ntr179

Farris, S. G., et al. (3015). Anxiety sensitivity and pre-cessation smoking processes: Testing the independent and combined mediating effects of negative affect-reduction expectancies and motives. Journal of Studies on Alcohol and Drugs, 76(2), 317-325, 10.15288/jsad.2015.76.317

Guillot, C. R., et al. (2016). Anxiety sensitivity facets in relation to tobacco use, abstinence-related problems, and cognitions in treatment-seeking smokers. Addictive Behaviors, 56, 30-35, 10.1016/j.addbeh.2016.01.005

Naragon-Gainey, N. (2010). Meta-analysis of the relations of anxiety sensitivity to the depressive and anxiety disorders. Psychological Bulletin, 136 (1), 128-150, 10.1037/a0018055

Zvolensky, M. J., et al., (2019). Anxiety symptoms and smoking among Latinx adult smokers: The importance of sensitivity to internal cues in terms of dependence, barriers for quitting, and quit problems. Journal of Behavioral Medicine, 43 (1), 88-98, 10.1007/s10865-019-00059-8