Cannabis : quels sont les facteurs qui modulent le rôle de sa consommation à l'adolescence sur le risque ultérieur de psychose ?

Cannabis

D’après l’UNODC (United Nations Office for Drug and Crime), la prévalence de l’usage du cannabis dans le monde est en constante augmentation. En 2018, 3,9% de la population mondiale âgée de 15 à 64 ans avait déjà consommé du cannabis. Cette prévalence était plus élevée chez les personnes souffrant de troubles psychotiques. Les troubles psychotiques, représentés principalement par la schizophrénie, sont une cause majeure de handicap et ils sont associés à une morbi-mortalité considérable, tant par suicide que du fait des nombreuses pathologies dont ces patients souffrent davantage que la population générale (p.ex. : tabagisme, maladies cardiovasculaires, diabète).

L’adolescence est une période particulièrement à risque d’entrée dans la consommation de cannabis, avec 4,7% de la population mondiale des adolescents âgés de 15 et 16 ans qui en avaient consommé en 2018, ce chiffre étant en augmentation chaque année. En effet, durant l’adolescence, les processus de maturation cérébrale encore en cours peuvent favoriser les comportements à risque dont l’expérimentation de substances psychoactives. Cependant, de nombreuses études internationales ont mis en évidence des risques augmentés de développer un trouble psychotique à l’âge adulte après avoir consommé du cannabis à l’adolescence. Bien que plusieurs arguments plaident en faveur d’une association longitudinale entre l’usage de cannabis à l’adolescence et le risque de psychose à l’âge adulte, le rôle des facteurs de vulnérabilité communs pourrait s’avérer prédominant, notamment en ce qui concerne les facteurs génétiques et épigénétiques. Force est de constater que seulement une faible proportion de consommateurs de cannabis à l’adolescence développera un trouble psychotique à l’âge adulte. Il existe donc des facteurs (épi)génétiques et/ou environnementaux susceptibles de moduler cette association. Par ailleurs, les différents composés présents dans le cannabis pourraient avoir des rôles hétérogènes, voire antagonistes, sur le risque de trouble psychotique. Notamment, certaines substances telles que le cannabidiol (CBD), qui sont présentes dans le cannabis à des concentrations beaucoup plus faibles que le tétrahydrocannabinol (THC), pourraient avoir certains effets protecteurs sur le risque de trouble psychotique, mais ces signaux préliminaires n’ont pour l’instant pas été étudiés en population adolescente (Iseger et al., 2015).

Afin de mieux documenter les différents facteurs susceptibles de moduler l’association entre la consommation de cannabis à l’adolescence et le risque de développer un trouble psychotique à l’âge adulte, Kiburi et al. ont réalisé une méta-analyse de la littérature internationale parue en février 2021 dans Substance Abuse. Au total, 18 articles ont été retenus pour les analyses quantitatives.

 

La plupart des études retrouvaient un risque augmenté de développer un trouble psychotique à l’âge adulte chez les adolescents consommateurs de cannabis (RR = 1.71, IC95%, 1.47–2.00). Par exemple, une étude a retrouvé qu’une consommation régulière de cannabis à l’âge de 15 ans (au moins 2 épisodes de consommation à l’âge de 15 ans chez une population de consommateurs âgés de 18 ans) était associée à un risque environ multiplié par quatre de développer une schizophrénie avant l’âge de 26 ans.

Les facteurs susceptibles de moduler cette association seraient les suivants :

– L’âge de début des consommations.

Plus l’âge de début des consommations de cannabis était précoce, plus le risque de schizophrénie à l’âge adulte était élevé. L’hypothèse avancée par les auteurs était que plus la consommation de cannabis était précoce, plus elle risquait de perturber les processus de neuromaturation cérébrale.

– La fréquence des consommations.

Des associations dose-dépendantes étaient retrouvées. Autrement dit, plus la fréquence d’usage du cannabis à l’adolescence était élevée, plus le risque de schizophrénie à l’âge adulte était important.

– Le type de cannabis consommé.

Une plus forte concentration en THC dans le cannabis consommé durant l’adolescence serait associée à des risques plus élevés de trouble psychotique à l’âge adulte.

– L’existence de traumatismes dans l’enfance.

Les adolescents consommateurs de cannabis ayant subi des traumatismes dans l’enfance avaient un risque accru de développer un trouble psychotique à l’âge adulte, comparativement à des adolescents consommateurs sans antécédents traumatiques (RR 13.38, 95% CI, 4.37–40.99), et comparé à des adolescents non consommateurs (RR 14.81, 95% CI, 7.25–30.24).

– Les facteurs de vulnérabilité génétique.

Trois études ont suggéré que les liens entre le développement d’un trouble psychotique et la consommation de cannabis à l’adolescence concernaient surtout les adolescents porteurs du génotype COMT Val158Met. Cependant, dans une autre étude collectant les antécédents psychiatriques familiaux plutôt que le génotype des adolescents, il n’était pas retrouvé d’effet modérateur des antécédents familiaux sur la relation entre la consommation de cannabis et le risque de trouble psychotique. Une étude de jumeaux retrouvait même un rôle prédominant de facteurs environnementaux comparativement aux facteurs génétiques dans la modulation de l’association entre la consommation de cannabis et le risque de trouble psychotique.

– L’existence d’une prédisposition à un trouble psychotique.

L’existence d’un état à haut risque d’évolution vers un trouble psychotique aurait tendance à majorer la force de l’association entre la consommation de cannabis à l’adolescence et le risque de trouble psychotique à l’âge adulte.

– L’usage d’autres substances psychoactives.

Une étude a mis en évidence que l’association entre l’usage de cannabis à l’adolescence et le risque de psychose disparaissait après avoir pris en compte les consommations d’alcool et de tabac. Il serait donc particulièrement important de mieux comprendre le rôle des consommations d’autres substances psychoactives.

D’autres facteurs tels que l’existence d’une dérégulation émotionnelle et/ou de troubles du comportement durant l’enfance ainsi que la vie citadine pourraient également majorer la force de l’association entre l’usage de cannabis à l’adolescence et le risque de trouble psychotique.

Parmi les principales limites aux résultats de leur méta-analyse, les auteurs évoquent notamment le caractère auto-déclaré des données de consommation, conduisant à des biais de mémorisation. De plus, les critères d’évaluation de la fréquence d’usage du cannabis et de trouble psychotique étaient hétérogènes, rendant les comparaisons particulièrement difficiles entre les études. Enfin, la grande majorité des études analysées reposaient sur des données provenant de pays industrialisés à revenus élevés.

En conclusion, les liens entre la consommation de cannabis à l’adolescence et le risque de trouble psychotique à l’âge adulte seraient modulés par certains facteurs tels que l’âge de début des consommations, la fréquence des consommations, la concentration en THC, l’exposition aux traumatismes dans l’enfance et la présence de facteurs de vulnérabilité génétiques. Des recherches additionnelles sont nécessaires pour mieux comprendre par quels mécanismes ces facteurs peuvent contribuer à modifier les liens entre l’usage de cannabis et le risque de psychose. Enfin, le rôle des autres substances psychoactives devrait être particulièrement étudié, notamment si certaines substances.

 

 

Victoria Paulus, Guillaume Airagnes.

 

Iseger TA, Bossong MG. A systematic review of the antipsychotic properties of cannabidiol in humans. Schizophr Res. 2015 Mar;162(1-3):153-61.

Kiburi SK, Molebatsi K, Ntlantsana V, Lynskey MT. Cannabis use in adolescence and risk of psychosis: Are there factors that moderate this relationship? A systematic review and meta-analysis [published online ahead of print, 2021 Feb 22]. Subst Abus. 2021;1-25.