Risque de démence, facteurs génétiques et mode de vie : une gigantesque étude de suivi épidémiologique parue dans le JAMA

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Parmi tous les défis que l’humanité va devoir relever au cours du XXIe siècle, la question du vieillissement et des maladies neurodégénératives figure en bonne place sur la liste des priorités de santé publique. La Maladie d’Alzheimer avait été désignée comme grande cause nationale du temps du Président Sarkozy, et les perspectives thérapeutiques restent malheureusement aujourd’hui encore assez peu concrètes à court terme, surtout depuis le scandale des médicaments anti-Alzheimer (pour plus d’infos, consulter l’article de Prescrire sur le sujet : https://www.prescrire.org/fr/3/31/55116/0/NewsDetails.aspx). Le rôle de la prévention parait plus réaliste et plus prometteur à court terme, mais cela nécessite de bien comprendre les très nombreux facteurs qui influencent le déclin cognitif, en particulier d’y voir plus clair entre facteurs génétiques et facteurs environnementaux.  C’est une nouvelle pierre à cet édifice que l’étude publiée dans le JAMA cet été vient apporter.

Il s’agit d’une immense étude épidémiologique portant sur presque deux cent mille sujets britanniques. Les auteurs n’ont sélectionné que les sujets de plus de 60 ans sans troubles cognitifs initiaux, et ils les ont suivis pendant une médiane de 8 ans pour voir quels étaient les facteurs associés à l’apparition d’une démence. Sur la base des connaissances génétiques déjà disponibles, les auteurs ont construit un score de risque génétique (faible, modéré, et élevé). Ils ont également regardé quatre aspects du mode de vie : le fait de fumer (donnée actuelle uniquement), le régime alimentaire, le fait de boire modérément de l’alcool (oui/non), et le fait de pratiquer une activité physique régulière. Au final, dans un modèle multivarié complexe, les auteurs concluent que les facteurs de risque génétiques et comportementaux se potentialisent pour donner un risque de démence proportionnel au nombre de facteur de risques. En particulier, chez ces sujets sans troubles cognitifs, la conjonction d’un mode de vie défavorable et d’un risque génétique élevé aggravait le risque de démence. Mais, à contrario, un mode de vie sain permettait de contrebalancer un risque génétique élevé.

Comme toute étude de cette envergure, cette publication se heurte à des limites qui sont en grande partie liées aux choix de simplification qu’ont dû faire les auteurs. Ainsi, par exemple, le fait de « résumer » la consommation d’alcool à « boit normalement » ou « ne boit pas normalement » donne vraisemblablement une lecture simpliste de la donnée alcool. On sait par exemple que les populations qui « boivent normalement » ont souvent moins de problèmes socio-économiques et moins de problèmes de santé que celles qui boivent « anormalement », mais aussi que celles qui ne boivent pas du tout ou presque. Cet artefact épidémiologique, probablement d’ailleurs en partie sociologique, pourrait expliquer l’effet « protecteur » longtemps attribué à l’alcool dans les études de santé publique sur la mortalité. Pourtant, de plus en plus d’auteurs reviennent sur cette question et les données les plus récentes ne retrouvent pas cet effet protecteur de l’alcool.

De la même façon, les conduites alimentaires et l’usage de tabac sont aujourd’hui largement reliées à des critères socioéconomiques. Si les auteurs ont pris soin de contrôler ce critère dans leurs analyses, les antécédents médicaux ne pouvaient être analysés en détail vu la taille de l’échantillon. Les sujets qui ont arrêté de boire et/ou de fumer à cause de facteurs de risque cardiovasculaires par exemple, ne sont probablement pris en considération dans les analyses.  Tout cela pour dire qu’il serait excessif de conclure que la meilleure protection contre la démence serait de « boire normalement ». Au vu des connaissances actuelles sur l’alcool, et en ligne avec les récents messages de prévention de Santé Publique France, plus serait de conclure qu’il faut boire « le moins possible ».

 

Par Benjamin ROLLAND

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