Thomas Schwitzer : L’usage régulier de cannabis retarde le traitement de l’information visuelle

L’usage régulier de cannabis est un problème majeur de santé publique car le cannabis est une des drogues addictives les plus consommées dans les pays industrialisés. L’usage de cannabis est connu pour modifier la transmission synaptique de plusieurs voies de neurotransmission cérébrale.

Cannabis

 

L’usage régulier de cannabis est un problème majeur de santé publique car le cannabis est une des drogues addictives les plus consommées dans les pays industrialisés. L’usage de cannabis est connu pour modifier la transmission synaptique de plusieurs voies de neurotransmission cérébrale. Cependant, il est difficile d’accéder de manière directe au fonctionnement du cerveau et donc aux modifications à long terme de la neurotransmission cérébrale dues à l’usage régulier de cannabis. Des investigations indirectes sont donc nécessaires. La rétine offre un site particulièrement intéressant pour étudier l’impact des consommations régulières de cannabis sur la neurotransmission cérébrale. En effet, la rétine est une extension anatomique et développementale du cerveau et est constituée de plusieurs couches neuronales disposées en étages et connectées par des synapses. Les neurones rétiniens partagent avec les neurones cérébraux des propriétés anatomiques et fonctionnelles similaires. Ils sont notamment dotés des mêmes voies de neurotransmission synaptique comme la voie dopaminergique, glutamatergique et gabaergique, entre autres. La rétine est également dotée d’un système cannabinoïde fonctionnel détecté aux principaux étages du traitement de l’information rétinienne, dans les photorécepteurs, les cellules bipolaires et les cellules ganglionnaires. Les études chez l’animal ont montré que le système cannabinoïde était impliqué dans la régulation de la libération synaptique de neurotransmetteurs comme la dopamine, le glutamate et le GABA.

 

Le fonctionnement des neurones rétiniens peut être évalué par des mesures objectives appelées électrorétinogramme (ERG). Les ERG sont utilisés pour enregistrer le potentiel électrique provenant de la rétine en réponse à différents types de stimuli visuels, comme par exemple des flashs de lumière -appelés ERG flash- ou des damiers -appelés ERG pattern-. La réponse rétinienne enregistrée est associée à des variations dans la libération synaptique de neurotransmetteurs à travers la rétine. Dans cette étude, nous avons réalisé des mesures d’ERG flash et pattern chez 56 consommateurs réguliers de cannabis et 29 sujets sains en utilisant les recommandations de la Société Internationale pour l’Electrophysiologie Clinique de la Vision (ISCEV). Les paramètres évalués ont été l’amplitude et la latence des principales ondes : ondes a et b pour l’ERG flash et ondes P50 et N95 pour l’ERG pattern. Avec ces mesures, nous avons observé un retard de réponse au niveau de deux étages de neurones rétiniens : un retard d’environ 1 milliseconde au niveau des cellules bipolaires des cônes et un retard d’environ 6 millisecondes au niveau des cellules ganglionnaires. Ce résultat indique que le signal visuel qui sort de la rétine pour rejoindre le cerveau est retardé d’environ 6 ms chez les usagers réguliers de cannabis. Il pourrait ainsi traduire un effet du cannabis sur la transmission glutamatergique rétinienne. Nous souhaitons maintenant évaluer l’évolution de ce retard tout au long de la période de sevrage du cannabis et vérifier s’il est ou non présent après l’arrêt du cannabis.