"Cigarettes – Le dossier sans filtre" Une bande dessinée de Pierre Boissière et Stéphane Brangier

Rentrer au coeur du « dossier sans filtre » que nous propose cette bande dessinée, publiée aux Editions Dargaud, permet d’en savoir plus sur les méthodes employées par « Big Tobacco », surnom donné aux géants de l’industrie du tabac. Ce dossier à charge repose sur des informations dont il n’est plus question aujourd’hui de contester la véracité… Le récit nous est conté par un certain Mr Nico, personnage de fiction qui nous dévoile sans détour les manoeuvres de l’industrie qu’il défend. Bien entendu le machiavélisme, la mauvaise fois, et la bonne conscience habiteront tout du long ce Mr Nico, employé d’un rouage bien huilé…

L’histoire du tabagisme commence en Amérique où le célèbre navigateur Christophe Colomb découvre une plante fumée par les autochtones, plante qu’il ramène en Europe. Elle aura assez vite les faveurs de la cour de France grâce à son ambassadeur au Portugal, Jean Nicot, qui réussit à promouvoir auprès de Catherine de Médicis un produit aux vertus curatives. Ce produit se répandra au 16ème siècle dans le monde entier… Après une courte vague de prohibition au 17ème, les états comprennent vite qu’ils feraient mieux d’instaurer des taxes plutôt que de prohiber. La consommation explose malgré tout, mais le produit reste prisé, chiqué ou crapoté, et ne se fume pas encore vraiment car la fumée n’est pas agréable. Il faudra attendre pour cela que le tabac soit séché à chaud pour adoucir une fumée désormais plus sucrée. Le tabac fumé par l’intermédiaire de la cigarette qui fait alors son apparition va pouvoir prendre son envol. De la cigarette roulée à la main on passe à une industrialisation massive grâce à des machines performantes. Les coûts de production chutent, rendant cette cigarette plus accessible… La guerre de 14-18 fera le jeu des fabricants. Dans les tranchées les cigarettes circulent facilement et deviennent le symbole du partage et du patriotisme… Mais au début du XXème siècle la consommation reste essentiellement masculine, et il est alors temps que les femmes s’y mettent. Les cigarettiers profitent de leur désir d’émancipation pour lancer des campagnes promotionnelles associées à des manifestations féministes de masse pour montrer qu’une femme peut fumer comme un homme. Les symboles de liberté et d’égalité remontent à la surface. De nouveaux standards associent la beauté à la minceur, à l’élégance, et ce grâce à la cigarette… Le cinéma et la télévision commencent aussi à s’emparer d’un produit qui peut réconcilier hommes et femmes…

L’ère du marketing publicitaire est lancée. Les industriels ont compris qu’il faut personnaliser les marques pour que les fumeurs trouvent celle qui leur correspond le mieux. Le design, les symboles, le choix des couleurs, tout est bon pour créer un attachement, voire une dépendance à une marque… Des lois restreignant la publicité sont votées et le sponsoring prend alors le relais, l’idée étant d’identifier une marque sans jamais parler de tabac ni de cigarette. Et quand les premières informations commencent à circuler sur les dangers de l’usage, on met alors dans sa poche des médecins experts, et on joue la carte de la controverse pour alimenter un doute persistant en décrédibilisant les études sérieuses.

Et si la publicité, le sponsoring, et la désinformation ne suffisent pas, on peut tenter de rendre les fumeurs un peu plus dépendants. Dans les années 60 deux techniques sont utilisées. L’une consiste à ajouter un peu d’ammoniac pour que la nicotine pénètre plus rapidement dans le sang, et l’autre à augmenter le PH de la fumée pour qu’elle soit plus facilement inhalée. Autre technique qui fera son apparition, celle du filtre sensé éliminer toutes les substances toxiques. On invente aussi la cigarette light ou ultra light, annoncée comme moins chargée en nicotine. Les fumeurs doivent donc fumer plus pour avoir leur dose… Ce que l’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre, ou inversement suivant de quel coté de la cigarette on se place, fumeur ou fabricant…

Quand l’état se veut un peu trop interventionniste, le lobbying fait alors son travail pour influencer les politiques…  Malheureusement l’industrie du tabac s’est toujours construite en opposition aux lois en vigueur et a acquis une expérience du détournement. Alors, même si certaines lois antitabac, qui concernent essentiellement les pays occidentaux, portent leurs fruits, d’autres marchés sur d’autres continents s’ouvrent, et les industriels n’ont malheureusement pas encore dit leur dernier mot…

 

Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #05 de le revue DOPAMINE

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