Cinéma / “Ma’ Rosa“ de Brillante Mendoza

affiche

 

Difficile de rester insensible aux mésaventures de Ma’ Rosa (Maman Rosa) ou plus globalement à l’ensemble des membres de sa famille, car le film de Brillante Mendoza est avant tout une histoire de survie familiale. Rosa Reyes, interprétée par Jaclyn Jose, prix d’interprétation au dernier festival de Cannes, et son mari Nestor tiennent une petite épicerie faite, comme tant d’autres dans ce quartier pauvre, de bric et de broc, et est située dans une ruelle crasseuse et humide de Manille, Philippines. Ils vivent là avec leurs quatre enfants dans un espace réduit où la rue et l’habitacle se confondent presque. Pour améliorer leur quotidien, ils revendent en sous-main dans leur boutique des cristaux de shabu, la méthamphétamine locale, cristaux blancs conditionnés en minuscules sachets cachés dans une boite à chaussure. Le père de famille semble être un usager régulier et se sert dans la réserve. On peut parler ici de trafic de survie, car rien ne semble indiquer que l’argent récolté leur permettra d’élever un niveau de vie qui reste très modeste. Malheureusement pour eux, la routine familiale prendra fin le jour où, sur dénonciation d’un môme du quartier qui veut faire libérer son frère, les forces de police débarquent dans la boutique pour embarquer manu militari Ma’ Rosa et son mari. Le cauchemar commence véritablement là. Les policiers exigent, en échange de leur libération et de l’abandon des poursuites, la somme de 200 000 pesos philippins (environ 4000 euros), somme dont la famille ne dispose bien entendu pas et dont elle devra s’acquitter en dénonçant dans un premier temps leur fournisseur (en possession de 150 000 pesos) et en faisant appel, pour les 50 000 pesos restant, à l’abnégation des trois ainés, deux garçons et une fille. Les trois enfants mettront toute leur énergie, et bien plus, dans la quête de la somme nécessaire à la libération de leurs parents…

Ici, difficile d’apercevoir un bout de ciel bleu. Le film a visiblement été tourné à la saison des pluies et on reste le plus souvent à hauteur de trottoir et de bitume, ou alors cantonné pour l’essentiel du film à l’intérieur d’une succursale du commissariat, huis clos où les policiers ont l’habitude de se reposer, de s’empiffrer de poulet frit sur le dos de leurs prisonniers, d’asseoir leur autorité et d’abuser de leur pouvoir sur ceux qui ont eu le malheur d’enfreindre la loi. Le racket organisé dans cette arrière-boutique policière est à hauteur de la corruption qui règne depuis des décennies dans les rangs d’une administration armée, peu encline à la clémence.

Le film a été tourné avant l’élection en juin dernier de Rodrigo Duterte, président philippin au pouvoir pendant six ans, qui a décidé de livrer une guerre sanglante contre les usagers et dealer de drogues. Alors la question se pose de savoir ce qu’il serait advenu à cette famille si leur arrestation avait eu lieu après l’élection. Il est donc d’autant plus surprenant d’entendre le réalisateur philippin défendre la démarche du président Duterte (C’est apparemment le cas de la plupart des artistes.) et considérer que si Ma’ Rosa est une “bonne mère de famille“, c’est “une mauvaise citoyenne“, qui mériterait donc ce qui lui arrive. Si le film semble dénoncer la corruption dans les rangs de la police, on peut avoir des doutes concernant le message délivré à propos du deal. A croire que Brillante Mendoza veut faire la leçon aux dealers en leur montrant le sort qui leur sera réservé s’ils poursuivent leurs activités illégales. Espérons que les spectateurs du film n’interprèteront pas les faits de cette manière-là et y verront plutôt, s’il était encore besoin de les montrer, les dégâts causés par une prohibition des drogues irresponsable.

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