Cinéma / “Wùlu“ de Daouda Coulibaly

 

Ca commence par une déconvenue de poids, celle d’un jeune Malien d’une vingtaine d’année, assistant depuis cinq ans d’un chauffeur de taxi collectif de brousse. Ladji est victime de népotisme, et se voit passer sous le nez le poste de chauffeur, une promotion réservée au neveu du patron. La larme qui coule sur la joue de Nadji sera la dernière que nous verrons couler avant la fin, car le jeune homme est ambitieux et décidé coute que coute à laisser la galère derrière lui, et faire tout ce qu’il faut pour s’en sortir, quelque soit la manière, sans état d’âme et sans mauvaise conscience. Il entre en contact avec une connaissance du milieu du trafic de stupéfiants et se met à son service pour faire passer du cannabis au-delà de la frontière Malienne et l’échanger contre de la cocaïne. Ce premier trajet sera révélateur de sa placidité et de sa ruse pour déjouer les pièges en compagnie de deux amis de confiance. Première mission remplie avec succès. On lui fait désormais confiance pour faire voyager des quantités plus importantes, prendre plus de responsabilités et donc plus de risques, de ceux qui nécessitent qu’on voyage armé. Nadji s’endurcit mais finit par s’isoler de ses deux compagnons-amis d’aventure qui n’auront pas la même chance ou la même force que notre protagoniste principal. Nadji atteint le dernier stade d’évolution des jeunes hommes dans la culture Bambara, à savoir celle du chien (Wùlu en bambara) qui n’est pas forcément ici si glorieuse.

Ce film du réalisateur franco-malien Daouda Coulibaly, sorti sur les écrans le mercredi 14 juin, raconte l’ascension d’un jeune homme qui ne voulait au départ que rendre sa dignité et sa liberté à une sœur ainée, Aminata, qui se prostituait pour faire bouillir la marmite d’une famille sans parent, juste un frère et une sœur vivant chichement mais se soutenant sans limite.

Les quelques années passées dans le narcotrafic, le temps du film, rapportent à Ladji suffisamment d’argent pour faire construire une belle et grande maison et y abriter sa sœur très alaise dans ses nouveaux vêtements et dans une vie bourgeoise dans laquelle le petit frère ne se retrouve pas complétement. L’ascension sociale s’est faite trop vite et à un prix que Nadji n’était pas prêt à payer. Il est allé plus loin qu’il ne l’avait sûrement imaginé et ne peut plus revenir en arrière. Il est devenu fort mais a fragilisé sa situation. Il a fini par perdre l’innocence qui l’a conduit dans un univers complexe et hostile dont les contours sont difficiles à cerner, ou du moins à délimiter.

Ici encore, l’entrée dans le trafic de stupéfiants est une échappatoire à une vie qui semble sans lendemain dans un pays comme le Mali où la jeunesse essaie tant bien que mal de trouver un travail décent, et se laisse malheureusement tentée parfois par les sirènes d’un trafic à risque mais lucratif qui se militarise et peut impliquer aussi bien l’armée que les forces de l’ordre et les djihadistes qui en l’occurrence occupent le nord du pays et bénéficient de la manne financière que représente le transit en masse de stupéfiants. L’action du film s’arrête en mars 2012 au moment du coup d’état qui provoqua la chute du président Amadou Toumani Touré, et qui fut orchestré par des généraux soupçonnés de collision avec le narcotrafic. Au delà du parcours de notre jeune aspirant scarfacien, le film est révélateur des dégâts et des collusions avec le pouvoir qu’engendre un trafic illégal d’ampleur que la communauté internationale essaie maladroitement de combattre en empruntant une voie prohibitive qui montre tous les jours un peu plus ses faiblesses et ses limites…

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