Cette guerre de l’opium, qui dura trois ans de 1839 à 1842, fut la première mais pas la dernière qui opposa la Chine à l’Angleterre dans ce XIXème siècle emblématique de la découverte d’alcaloïdes importants comme la cocaïne, isolée de la coca, ou la morphine, isolée de l’opium. Le pavot, cultivé en Inde Britannique, fournit une résine, l’opium, que les Anglais commencèrent à exporter en masse en Chine à partir des années trente pour équilibrer leur balance commerciale déficitaire. Mais l’empereur chinois de l’époque ne voyait pas ce commerce d’un bon œil et était déjà inquiet des dégâts sanitaires que l’usage de cet opiacé pouvait faire dans les rangs d’une population consommatrice depuis plus d’un siècle. Une législation prohibitive de l’usage et du trafic, qui datait du début du XVIIIème siècle, fut consolidée par l’Empereur qui ne comptait pas laisser les Anglais mettre plus à mal la santé de ses congénères. La saisie de tonnes d’opium et l’immobilisation de navires de commerce incita la couronne britannique à entrer en guerre avec la Chine, guerre qui dura donc trois ans et se solda par une défaite cinglante des Chinois et par la signature du traité de Nanjing qui obligea l’Empereur à céder aux Anglais un certain nombre de ports de commerce, dont notamment celui de Hong Kong.
L’histoire aurait pu s’arrêter là si les Anglais n’avaient pas tout fait pour augmenter le niveau des exportations vers la Chine avec la complicité d’intermédiaires chinois qui s’enrichissaient au passage en diffusant l’opium dans une population de plus en plus touchée par une consommation endémique problématique. La deuxième guerre de l’opium était alors inévitable et après quatre ans de combat, de 1856 à 1860, se solda par une deuxième défaite de la Chine. La France et les Etats-Unis, notamment, se joignirent à l’Angleterre dans ce combat pour défendre la poursuite d’un commerce de plus en plus affranchi de l’opposition étatique chinoise.
Si l’ouvrage de Julia Lovell, édité aux Editions Buchet Chastel, se concentre en grande partie sur ce que l’on appelle “la première guerre de l’opium“, c’est qu’elle constitue le point d’orgue d’une opposition frontale entre deux grandes nations qui n’avaient pas les mêmes préoccupations. Le pouvoir chinois mettait en avant des préoccupations sanitaires et morales, tandis que le pouvoir britannique mettait en avant des préoccupations économiques sans se préoccuper des enjeux de santé soulevés à des milliers de kilomètres sur le sol britannique par des opposants qui faisaient entendre leur voix. Le manque de considération, et le mépris mutuel affiché par les dirigeants de chaque pays se sont cristallisés sur un produit de grande consommation devenu subversif.
L’intérêt de l’ouvrage est qu’il revient aux sources et au coeur de cet affrontement pour en dessiner les lignes de force et nous faire comprendre, en confrontant les deux visions, celle des Chinois et celle des Anglais, comment la consommation et le commerce d’un produit comme l’opium peut influencer par la suite un récit national qui continue à entretenir des représentations souvent erronées. Le regard que chacun des pays porte sur l’autre est emprunt de cette confrontation passée qui reste dans les mémoires des deux peuples et constitue un moment essentiel de la grande histoire des politiques en matière de contrôle des stupéfiants. L’opium fut par la suite, au début du XXème siècle, le produit sur le lequel s’est focalisé tous les mouvements prohibitionnistes d’ici et d’ailleurs, et il n’est pas surprenant de constater que la Chine reste une des grandes nations continuant à se positionner, malgré les mouvements émergeants de légalisation, sur une ligne conservatrice et donc prohibitionniste…