Essai / “Le vin et la guerre“ de Christophe Lucand

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Spécialiste de l’histoire des mondes de la vigne et du vin, Christophe Lucand nous propose dans cet ouvrage publié aux Editions Armand Colin, de bousculer la “belle histoire“ des vignerons français résistants, qui auraient su tenir tête aux Allemands pendant la guerre 39-45. La vérité n’est pas aussi glorieuse, et la collaboration plus ou moins active des exploitants et négociants semble avoir été la règle plutôt que l’exception.

L’historien nous fait traverser la guerre aux côtés des vignerons et du “précieux“ liquide qu’ils mettent en bouteille et qui a tant d’importance dans la société française depuis la grand guerre, non seulement au front dans les rangs des soldats français, mais aussi sur les tables des familles qui supportent l’effort de guerre.

Le vin français a tout aussi bonne réputation hors de nos frontières, alors pas question pour le pouvoir allemand de laisser passer l’occasion de mettre la main sur ce breuvage venté pour ses vertus gustatives et sanitaires. Sont principalement visés les vins de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne.

Dès l’été 1940 sont mis en place dans les régions viticoles des délégués officiels de la chancellerie du Reich, nommés par le pouvoir à Berlin et désignés comme experts en vins. Ces “Weinführer“, comme on les appelait, étaient chargés de se mettre en relation avec les viticulteurs pour collecter légalement une quantité considérable de bouteilles à destination des soldats allemands, des dignitaires de haut-rang sensibles à la dégustation des vins de qualité, mais aussi tout simplement à la population civile allemande. Les vignobles sont réorganisés et certaines régions deviennent stratégiques, notamment Monaco qui devient la plaque tournante du commerce international du vin.

Des comités interprofessionnels d’exploitants vinicoles se mettent en place et essaient de défendre leurs intérêts financiers et d’organiser au mieux la vente à l’occupant allemand qui fait pression pour obtenir les meilleurs vins, grands crus ou ordinaires, à des prix plus que raisonnables pour les viticulteurs, mais souvent dérisoire du côté allemand qui bénéficie d’une monnaie beaucoup plus forte. Dans un marché qui prospère, les affaires vont bon train et ne font parfois que prolonger celles déjà installées avant guerre entre négociants ou viticulteurs et hommes d’affaire allemands. Les professionnels français ont déjà l’habitude de traiter avec nos voisins d’outre-rhin et profitent pour beaucoup des circonstances pour augmenter leur chiffre d’affaire.

A partir de 1942, le circuit officiel de captation des fruits du vignoble français est complété par un marché noir loin d’être négligeable qui se développe de façon plus ou moins anarchique et encourage une spéculation sur un produit qui devient une manne financière loin d’être négligeable.

Le pillage des ressources vinicoles s’organise au mieux et s’intensifie malgré le processus de guerre et la complexité des rapports de force. La part restante, pour la population française et ses soldats au front, de cette boisson culturellement encrée dans la culture hexagonale, diminue avec des restrictions d’état de plus en plus conséquentes qui s’apparentent à une forme de prohibition au service de l’occupant. Le gouvernement de Vichy participe de cette collaboration au même titre que les professionnels. Cette collaboration active ou passive est considérée par les plus gros exploitants, poursuivis à la libération, comme inévitable pour limiter la casse. Quand l’enrichissement personnel est au rendez-vous, difficile de mettre en avant une forme de résistance de fiction pour embellir une réalité plus triviale…

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