“Nos vies formidables“ Un film de Fabienne Godet

Ce film de Fabienne Godet, en salles depuis le 06 mars, accompagne pendant deux heures Margot, une jeune femme d’une trentaine d’années, qui entre dans une communauté thérapeutique. Le temps du film, elle n’en ressortira pas. Non pas qu’elle en soit empêchée, mais simplement parce qu’elle y trouvera sa place. Les pensionnaires ont fait le choix ici du sevrage collectif dans une institution d’accueil qui propose l’abstinence totale sans aide médicamenteuse… A son arrivée on lui confisque son portable, qu’elle ne récupérera que dans les temps dédiés aux appels vers l’extérieur. Ses livres sont rassemblés dans la bibliothèque commune. On fouille de fond en comble ses affaires personnelles pour être sûr qu’elle ne cache rien… On comprend que la jeune femme a touché à peu près à tout ce qu’elle a pu croiser dans son parcours depuis la pré-adolescence, et ce dans des proportions plus ou moins importantes suivant les produits…

Il est important de signaler que le cadre imposé ici n’est pas celui de toutes les communautés thérapeutiques. Mais certaines, comme celle dont s’est inspirée la réalisatrice, fonctionne sur le même principe thérapeutique que le centre APTE (Aide et Prévention des Toxico-Dépendances par l’Entraide) créé à l’initiative de Kate Barry à Bucy-Le-Long en 1994. La méthode utilisée est la méthode Minnesota qui fait le pari de l’abstinence totale et de l’entraide dans une communauté de pairs usagers. Reconstruire le lien à l’autre fait partie du processus de sevrage… Le récit sera construit chronologiquement comme un journal de bord au jour le jour avec quelques ellipses temporelles…

Margot doit commencer par faire face à une bonne dizaine de jours de symptômes douloureux du manque, symptômes qui se manifestent entre autres par des nausées, vomissements, chaud et froid… Ces douleurs physiques finissent pas disparaître apparemment, mais c’est là que tout le travail psychologique commence… La jeune femme prend petit à petit sa place dans le groupe… Jalil, Jérémy, Salomé, César, Sonia, Pierre, Annette, Lisa, Marion, Irina, et d’autres encore… sont dans les parages, et leur présence participe de cette chaleurosité qui anime l’ensemble du groupe…

Ici, la confrontation à ses souvenirs douloureux est sollicitée au cours de séances de groupe de parole qui reposent en grande partie aussi sur le partage d’expérience et l’identification. Ces séances de groupe de parole jalonnent le parcours de sevrage et sont autant de moments pour les participants de se retrouver face à leur existence passée, du temps des produits. Il est souvent question d’expier ce passé, non pas pour l’évacuer, mais pour assumer le mal qu’on s’est fait et surtout qu’on a fait aux autres. Pendant ces temps d’échange, assez formels, la parole est invitée à se libérer, mais on n’est pas là pour rigoler… Les moments de détente, de relâchements, de coups de gueule salvateurs, de paroles joyeuses et réconfortantes, et de gestes de tendresse sont réservés au temps de vie en commun, aux moments conviviaux : les repas, les veillées dans le salon, les jeux de société, les parties de volleyball… Quelques activités sont proposées dans le cadre du protocole de soin, comme le yoga, les jeux de défoulements physiques et verbaux, ou le théâtre image… Le groupe fait corps dans une solidarité partagée.

Pas question de voyeurisme ici, juste un moment en compagnie de ces femmes et de ces hommes de milieux sociaux, d’horizons, et d’âges différents que l’on apprend à connaître petit à petit. Ce qui les réunit et les soude : l’envie de tenir, ne pas renoncer au défi qu’ils ont souhaité relever, et surtout repartir plus fort face aux épreuves qui les attendent à l’extérieur… Chaque parcours d’usager est bien entendu unique, et même si quelques repères ou événements de vie peuvent nous permettre de mettre en avant de potentiels déclencheurs d’une bascule vers des usages répétés et intensifs, on ne peut se contenter de ces informations pour faire le tour des tenants et des aboutissants…

Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #03 de le revue DOPAMINE

Consulter en ligne