Récit / “La nuit du révolver“ de David Carr

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Dans la soirée du 18 février 2015, un des journalistes emblématiques du New York Times, David Carr s’effondrait dans la salle de rédaction du journal suite à une crise cardiaque, à l’âge de 58 ans. Quelques années avant, en 2008, il racontait son parcours personnel et professionnel dans un récit intitulé The Night of the Gun. Il faudra attendre 2017 pour que ce récit de presque six cents pages soit traduit en France par Alexis Vincent pour les Editions Séguier.

Cette nuit du révolver est celle où David Carr pense avoir été menacé d’une arme par l’un de ses plus proches amis suite à une nuit agitée de consommations de psychotropes au début des années 80. En revenant sur cet épisode de sa vie vingt cinq ans plus tard, son ami lui rappelle que c’est lui David qui avait l’arme en main. Commence alors pour le journaliste une enquête de trois ans pour essayer de rétablir la vérité sur ces moments de son existence qui ont disparu de sa mémoire et ont été tronqués avec le temps qui passe. David Carr met à profit son talent d’investigateur et d’écrivain pour prendre le temps de revenir en arrière dans son passé d’usager et enquêter sur sa propre personne sans ménager ses états d’âme, sa culpabilité et ses remords, et sans cacher aucun de ses épisodes de consommation ou de trafic.

Le récit est alors le fruit de cette enquête réalisée auprès de ses ex-compagnes, de ses deux filles jumelles, de ses amis, de dealers, de médecins, de policiers ou officiers de justice qui ont eu l’occasion de croiser sa route. Plusieurs dizaines de témoignages qui pèsent dans la balance et qui sont digérés par l’auteur et livrés sans chichi. Il décortique également un certain nombre de rapports de police ou médicaux, en assumant ses actions d’un passé chaotique qu’il ne s’agit pas de travestir.

Le parcours de David Carr est celui d’un jeune homme qui s’est laissé porter par de multiples expérimentations dans sa jeunesse dans le Mennesota, et a fini par entrer dans une consommation régulière de cocaïne en poudre ou basée (crack) qui l’a conduit à dealer. D’autres produits ont accompagné ce parcours d’usager, accompli en parallèle de son travail de journaliste : l’alcool en quantité, le cannabis et le LSD à l’occasion… Une poly-consommation débridée d’une vingtaine d’année qui est associée à tous les modes d’usage, ingestion, injection, inhalation, sniff et à tout ce qui accompagne les effets, à savoir les risques mais sans tenter de les réduire.

Toutes les années qui sont suivit les premières consommations sont loin d’avoir alimenté un long fleuve tranquille, fleuve dans lequel il a fini par balancer un passé d’usager qui ne l’aura pas épargné, en s’essayant à de nombreuses cures de sevrage, finalement couronnées d’un succès durable.

Il est question, dans ce récit à la première personne, de se raconter sans faux-semblant mais sans cette repentance un peu trop appuyée dans d’autres récits du même genre. David Carr ne prend pas de détour. Il ne fait pas le fier mais ne s’apitoie pas non plus sur son sort. Il ne cherche pas à se justifier car il n’a pas à le faire. Aucune raison de moraliser ici un parcours de consommation. Il s’agit d’emmagasiner ce récit de vie pour alimenter et approfondir une réflexion saine sur le rapport de l’homme aux produits, qu’ils soient ou non prohibés, et l’impact plus ou moins affirmé sur l’environnement sociétal et professionnel et sur l’entourage. C’est David Carr que l’on entend là, alors pas question d’universaliser son parcours de consommateur et d’en faire une référence. Nous sommes simplement au plus proche d’un homme qui a laissé son empreinte dans un journalisme éthique et humaniste…

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