Récit / “Menteur“ de Rob Roberge

  Ce récit autobiographique, ou presque, est écrit à la deuxième personne du singulier comme pour mettre à distance la deuxième personnalité d’un narrateur diagnostiqué “bipolaire avec cycles rapides et épisodes psychotiques occasionnels“ qui tente ici, dans un effort de mémoire mémorable, de recoller des bouts d’existence éparpillés afin de s’assurer que les petites traces resteront gravées sur le papier quand son cerveau aura décidé malgré lui de faire le grand nettoyage. Rob Roberge, la cinquantaine au moment où il écrit Menteur, est menacé d’amnésie suite à une série de commotions cérébrales. L’écriture, qui l’a accompagnée une bonne partie de sa vie, devient alors une urgence, urgence de coucher sur le papier, même si c’est de manière désordonnée, tout ce qui lui revient en mémoire et qui lui semble mériter qu’on s’y attarde le temps d’un passage plus ou moins long, de quelques lignes à quelques pages. On peut donc passer, dans un même chapitre, de 1974 à 2012 sans que les liens entre les deux épisodes soient flagrants. Entre anecdotes plus ou moins croustillantes et confessions intimes plus ou moins sordides, le narrateur se rappelle pour mieux se dévoiler et essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer pour en arriver là. Le récit est aussi parsemé de faits divers d’un passé qui concerne, entre autres, les décès d’artistes célèbres, courts paragraphes ramenant sûrement l’auteur à son propre destin fantasmé. Le récit de Rob Roberge, alternativement écrivain, dramaturge, scénariste, journaliste, cinéaste, metteur en scène, professeur d’écriture créative et musicien et chanteur de rock, n’est pas de tout repos et donne parfois le tournis. La prise de psychotropes de toutes sortes (Par ordre d’apparition à l’écran : alcool, percocet, morphine, acid, mescaline, champignons, xanax, Oxy Contin, vicodin, valium, kétamine, cannabis, cocaïne, héroïne, klonopin, lorazépam, dilaudid) jalonne un parcours qui traverse défonce, errance, manque, quête effrénée de produits, tentatives de sevrage, cellule de dégrisement, tentative de suicide avortées, pratiques SM intensives, délires psychotiques, et tentative désespérée de résoudre le meurtre de sa meilleure ami de primaire,… L’enfance, l’adolescence, l’âge adulte, y passent toutes les étapes d’une vie à se cogner au monde et à s’enfoncer dans une consommation plus ou moins chronique suivant les produits. On suit ça de très près, au coeur des événements, des sentiments, des sensations et des désespoirs d’un homme qui raconte sa déroute avec compassion et gravité mais aussi souvent avec humour bien heureusement. « Tu vas te suicider. Ça fait un an que tu as rechuté, après presque quinze ans sans drogue ni alcool, et tu es un menteur – tu as menti pratiquement à tous les gens que tu connaissais. Et tu es de nouveau celui que tu as toujours été. L’homme que tu méprisais. Tu as maintenant deux possibilités : tu peux ou bien être un junkie ou bien te désintoxiquer et être celui que tu as été pendant quinze ans. Arrêter la dope paraît impossible. La perspective d’aller à une réunion des Alcooliques Anonymes en annonçant haut et fort que c’est ton premier jour te rend malade de honte. Donc il te reste l’option junkie… » Le menteur ici, ce n’est pas que l’usager désigné un peu vite, c’est aussi le narrateur qui peut, volontairement ou non, omettre quelques parties de sa vie plus ou moins glorieuses. Rob Roberge l’assume : il peut parfois mentir ou se tromper. L’essentiel étant de tirer de toutes ces pages un récit qui fait foi et révèle des vérités cachées ou apparentes qui éclairent un homme qui se pose la question de savoir quel sera “le bruit que le monde fera sans lui“…

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