Roman / “Le poison“ de Charles Jackson

couverture

 

Ce roman écrit à la troisième personne aurait tout aussi pu l’être à la première, mais l’auteur Charles Jackson, mort d’une overdose en 1968 alors qu’il avait entrepris, vingt ans après Le poison, d’en écrire la suite, a sûrement eu besoin de prendre la distance nécessaire avec ses propres expériences de consommateur d’alcool. Car “le poison“ dont il est question ici, à travers une suite d’événements racontés en détail tout au long d’un récit particulièrement dense et imbibé, est bien l’éthanol.

Don Birman, auteur New-Yorkais en sevrage depuis quelques jours, s’est débarrassé d’une invitation de son frère Wick à passer le week-end à la campagne en prétextant le besoin d’isolement dans l’écriture. Au final il décide de replonger dans une consommation d’alcool compulsive de trois jours.

Ce long week-end seul en ville, sans l’appui habituel de son frère et de sa fiancée Helen, est donc l’occasion pour Don de se laisser aller sans retenue dans l’enfilade de verres de whisky. Les sous en main seront dépensés avec la stratégie nécessaire à un usage sans frustration d’alcool.

Malheureusement, l’argent à disposition est vite dépensé et finit par manquer. Tous les stratagèmes ou combines sont alors mis en place pour s’en procurer : emprunter aux âmes charitables, dérober le sac à main d’une voisine de bar (en vain car pris en flagrant délit), ou encore mettre en gage sa machine à écrire (en vain car les prêteurs à gages juifs sont fermés pour cause de Yom Kippour), tout ça réalisé avec une honte et une culpabilité grandissante, poussée sous le tapis pour arriver à ses fins. Quand la consommation d’alcool n’est pas au rendez-vous, Don Birman doit faire avec des affres physiques et psychologiques du manque, les crises de délirium tremens qui le font halluciner.

Ces trois jours courent sur l’ensemble d’un récit où les difficultés ne font que s’accumuler pour Don qui sombre petit à petit et a de plus en plus de mal à se relever dans les rues d’une ville de moins en moins accueillante. Sa seule source de satisfaction et de soulagement : une gorgée d’alcool, même si ce sont les fonds de bouteilles.

Ce roman à succès date de 1944 (publié pour la première fois en France en 1946) mais sa relecture aujourd’hui, grâce à la réédition des éditions Belfond, est l’occasion d’explorer à nouveau cet ensemble, bien entendu toujours d’actualité, de problématiques liées à l’alcoolo-dépendance : plaisir et besoin, craving, culpabilité, co-dépendance, gestion du manque, séjour à l’hôpital, etc… Le roman n’élude rien, bien au contraire. Le narrateur dans ce récit est bien entendu en totale empathie avec notre buveur.

Ce roman a été adapté au cinéma en 1945 par Billy Wilder qui réalisa un film très sombre, fidèle au roman, film qui paniqua le lobby de l’alcool car fit grande impression à sa sortie en salle, sûrement grâce à son réalisme en noir et blanc et un traitement pour une fois sérieux du sujet. Quatre Oscars furent décernés pour cette œuvre cinématographique.

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