C’est dans la ville de Bordeaux où trône, sur les rives de la Garonne, la fameuse Cité du vin, que se situe le roman de la romancière suisse Pascale Kramer, roman qui nous raconte comment une famille catholique bourgeoise bordelaise tente de faire face à l’alcoolo-dépendance d’un fils…
Romain a trente huit ans et est le fils unique d’une première union de Danielle avec un homme très vite absent. Elevé dès le plus jeune âge par son beau-père Olivier, magistrat à la retraite au moment du récit, le jeune homme a inscrit son parcours de vie d’adolescent et de jeune adulte dans une consommation d’alcool problématique qui l’a conduit à vivre “à la rue“ plusieurs années. Relevé par son demi-frère Edouard, il retrouve à trente cinq ans passés un appartement, un soutien financier de sa famille, et un travail. Même si bien entendu rien n’est gagné d’avance, cette période d’abstinence de plus de deux ans laisse entrevoir un espoir réaliste de sevrage réussi, avec toujours malgré tout la rechute possible en épée de Damoclès. « Depuis que Romain était sorti de sa seconde cure, plus de deux ans plus tôt, et avait paru vouloir s’accrocher un peu sérieusement à la vie, Danielle lui avait loué un petit appartement dans le quartier de la bastide et tout mis en œuvre pour lui trouver rapidement un travail afin de consolider la volonté puisée Dieu sait où pendant les mois de sevrage. Tout s’était mis en place avec une relative facilitée dont ils avaient été conscients qu’il ne fallait pas se réjouir trop vite. Que cela tienne finalement plusieurs mois, puis un, puis deux ans, rendait l’espoir paradoxalement plus ténu, plus insupportable. C’est ce dont Olivier eut l’intuition, pourtant impartageable avec Danielle : que ce serait peut-être un moins grand tourment de ne plus avoir à craindre, jour après jour, de voir s’effondrer l’aptitude à vivre si défaillante de ce fils par ailleurs infiniment aimable et doué… »
Le roman commence avec une heureuse nouvelle : la naissance de la deuxième fille de Lou, la fille ainée de Danielle et Olivier. Au même moment, la famille apprend que Romain a disparu. Plus de nouvelle. Les deux événements s’entremêlent dans un récit en cinq chapitres, autant que de membres présents de cette famille autour du bébé à naitre : Danielle et Olivier, les parents, Lou, Edouard, et enfin Mathilde la sœur cadette, frères et sœurs plus ou moins en apathie avec un grand frère qui semble si loin. Ces cinq chapitres sont autant de versions d’un récit familial qui nous raconte en bonne partie les rapports que chacun des protagonistes entretient avec Romain, fils en marge de la “réussite“ familiale.
Manque donc ici, volontairement mais malheureusement, le récit du principal intéressé, dont on parle beaucoup, et que l’on veut sauver à tout pris sans sembler s’intéresser à son désir à lui de l’être. Quand Romain quitte son travail sans donner plus de nouvelle, toute la famille semble alors avancer à l’aveugle totalement démunie face une problématique familiale qui semble encore une fois leur tomber dessus sans qu’ils l’aient vu venir et avoir eu le temps de s’y préparer. Tous les membres de la famille n’ont pas le même ressenti et la même énergie pour affronter à nouveau le “problème“ de ce frère aîné pourtant encore profondément aimé malgré tout ce qu’il leur a fait subir on comprend. Un fond d’accablement et de désespérance subsiste. Il n’augure rien de bon. Olivier, le beau-père, considère par exemple que l’interventionnisme n’a plus lieu d’être…
Difficile d’obliger quelqu’un à aller mieux et à “s’en sortir“. Difficile d’accompagner dans son sevrage, en tant que professionnel ou membre de la famille, un usager “addict“ sans avoir construit avec lui un parcours d’auto-changement sur lequel repose en grande partie la réussite de l’aventure, car il s’agit bien d’une aventure, partagée par tous, usagers ou non, celle de la quête d’un bien-être ou d’un mieux-être durable…