Faut-il médicaliser la gueule de bois ?

Banal ou banalisé, le lendemain de l’ivresse alcoolique est presque admis comme le prix à payer de l’excès de la veille. Classiquement nommée « gueule de bois » en français parmi différents autres synonymes familiers ou argotiques, l’appellation scientifisée est la veisalgie (du lendemain de l’ivresse), vesialgia ou hangover pour la littérature anglo-saxonne, ou encore « lendemains de veille » pour les Québécois.

Décrite et principalement envisagée dans les suites de consommations inhabituelles d’alcool jusqu’à l’intoxication éthylique aiguë (IEA), cette entité a ponctuellement été décrite avec d’autres substances : cannabis (weed hangover) (Chait, 1985), ou benzodiazépines.

Le tableau clinique est résumé par une «  combinaison de symptômes mentaux et physiques négatifs pouvant être ressentis après un seul épisode de consommation d’alcool, commençant lorsque l’alcoolémie approche de zéro »  (Verster, 2020). Plus qu’un désagrément du lendemain, les patients représentent un danger pour eux-mêmes et autrui malgré une alcoolémie nulle ou très basse (Wiese, 2000). Surtout, la veisalgie souligne que même avec une alcoolémie redevenue nulle après une IEA, on n’est pas toujours en pleine possession de ses moyens (Educ’alcool, 2012).

Circonstances

C’est une des premières conséquences négatives de surconsommations d’alcool (Razvodovsky, 2021), qui n’apparait qu’environ chez trois quarts des buveurs en excès, quand un quart seraient résistants ou indemnes. L’intérêt pour ce tableau semble avoir été réactivé par les études sur le binge-drinking et ses conséquences, dont il est un des aléas, parfois négligé.

Diverses origines physiopathologiques ont été décrites entre troubles métaboliques ou endocriniens alcoolo-induits (dont hypoglycémie, acidose…), déshydratation et troubles hydroélectrolytiques, effets de l’acétaldéhyde issu du catabolisme hépatique de l’éthanol, stress oxydatif ou effets d’impuretés toxiques présentes dans les boissons…  (Razvodovsky, 2021). Traditionnellement, le manque de sommeil en lui-même aurait un rôle complémentaire.

Le tableau est majoré chez les fumeurs, au moins de tabac… et inversement aucun effet préventif ou curatif du cannabis n’a jamais été prouvé.

Clinique

Apparaissant 6 à 8 heures après la fin d’alcoolisation, la veisalgie peut durer une vingtaine d’heures après retour à zéro de l’alcoolémie, et dépasse rarement la journée. La symptomatologie serait plus intense chez les femmes et avec l’avancée en âge (Razvodovsky, 2021).

Il s’agit schématiquement d’un tableau d’inconfort général avec fatigue, soif, sensation de malaise et céphalées (Smith, 1983). En détail il associe des :

-signes généraux : fatigue, mal-être, malaises, soif, sécheresse de la bouche

-douleurs : céphalées continues ou pulsatiles, crampes, douleurs abdominales…

-troubles digestifs : anorexie, gastralgies, nausées, vomissements, diarrhée

-troubles végétatifs : tachycardie, palpitations, HTA, tremblements, bouffées de chaleur ou sensations de froid, sueurs…

-signes sensoriels avec hypersensibilité au son et à la lumière, vertiges avec nystagmus

-troubles du sommeil à type d’insomnie

-troubles cognitifs touchant l’attention/concentration, la mémoire immédiate, les aptitudes visuospatiales, les habiletés psychomotrices… (Prat, 2008).

-troubles psychopathologiques, avec irritabilité, culpabilité et remords, anxiété, dysphorie, dépression…

Son intensité est associée à la quantité d’alcool ingérée, même s’il peut survenir aussi chez des buveurs apparemment modérés, l’essentiel semble une consommation plus élevée que les habitudes du sujet (Smith, 1983).

Le tableau doit être distingué des symptômes de sevrages, bien qu’il ait pu être envisagé comme un de leurs présages (Razvodovsky, 2021).

Conséquences

Au-delà de l’inconfort, des conséquences métaboliques sont associées à une augmentation du travail myocardique avec surmortalité d’origine cardiaque et morts subites. La dysphorie et les conséquences psychiques peuvent retentir sur la qualité de vie. Si les conséquences cognitives immédiates sont décrites, leurs liens avec le développement futur d’éventuels troubles cognitifs liés à l’alcool restent a priori non explorés.

À côté de conséquences sur la santé individuelle, ce sont surtout des pertes de performance et de productivité au travail, sources de dommages économiques et surtout de risques de blessures pour soi ou autrui lors d’accidents de travail ou de trajets qui sont rapportés (Wiese, 2000, Razvodovsky, 2021).

Les liens avec un mésusage d’alcool ont été différemment envisagés, associant variablement symptomatologie de veisalgie et antécédents familiaux de troubles de l’usage d’alcool, ou risque personnel à en relever actuellement ou dans l’avenir, sans consensus sur ce point.

Traitement

Aucun traitement curatif de la veisalgie n’existe, même si chacun à des recettes plus ou moins pharmacologiques. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou l’aspirine, classiquement évoqués, sont partiellement efficaces sur les céphalées, mais rajoutent un effet gastro-toxique (Hara, 2020). Aucun autre médicament ou produit de parapharmacie n’a prouvé d’effet.

Reboire de l’alcool (quel que soit le cocktail), ne sert pas non plus, dans l’idée de soigner le mal par le mal, si ce n’est justifier ou rationaliser une réalcoolisation masquant la symptomatologie.

Différents conseils diététiques à base de fruits ou d’herbes peuvent subjectivement ou objectivement soulager (Srinivasan, 2019).

Surtout il semble généralement proposé de se réhydrater et manger modérément, et dormir…

Quant à une prévention pour autoriser à boire sans lendemains qui déchantent, de multiples recettes diffusent depuis l’antiquité, de boire de l’huile d’olive, gober un œuf (de chouette…), manger salé, porter un collier (ou une couronne), de certaines fleurs ou plantes, avoir des marrons (ou une améthyste) dans sa poche… dans une pensée essentiellement magique, parfois exploitée par des vendeurs en parapharmacie ou sur comptoirs de bars de solutés à ingérer avant l’alcool, essentiellement à risque de fausse promesse et qui devraient idéalement disparaitre… Un effet de la vitamine B6 a parfois été évoqué, sans être confirmé (Wiese, 2000). L’essentiel de la prévention passe par la modération des consommations d’alcool : ici aussi, « Boire moins c’est Mieux »… (Michaud, 2006)

Ouverture

Ni ordinaire et ni banale au point de la négliger dans les soins, la veisalgie alcoolique mériterait d’être dénormalisée pour laisser place à un minimum de connaissances à son égard.

Ses conséquences dépassent l’inconfort d’un mal-être temporaire, pour concerner des troubles somatiques, psychiques, cognitifs avec des conséquences individuelles et collectives en termes de santé, mais aussi de couts induits. Ces conséquences peuvent en faire une situation de mise en danger où le maintien inchangé de ses activités peut tendre vers la conduite à risque.

Médicaliser le temps de la gueule de bois, ne veut pas dire promouvoir quelconques approches pharmaco-centrées (inutiles ou dangereuses), ni surmédicaliser l’ivresse et ses suites. Par contre, cette démarche peut s’apparenter à une forme de réduction des risques et des dommages en alcoologie, qui dépasse le temps de l’alcoolisation pour englober ses suites immédiates.

Pascal MENECIER, médecin addictologue, docteur en psychologie

Centre Hospitalier de Mâcon & Université Lumière Lyon 2, laboratoire Diphe

pamenecier@ch-macon.fr

Références :

Chait, L., Fischman, M. W., & Schuster, C. R. (1985). Hangover effects the morning after marijuana smoking. Drug and Alcohol Dependence, 15, 229‑238.

Educ’alcool. (2012). Alcool et lendemain de veille. https://www.educalcool.qc.ca/wp-content/uploads/2021/03/Alcool-et-lendemain-de-veille.pdf

Hara, M., Hayashi, K., Kitamura, T., Honda, M., & Tamaki, M. (2020). A nationwide randomized, double-blind, placebo-controlled physicians’ trial of loxoprofen for the treatment of fatigue, headache, and nausea after hangovers. Alcohol, 84, 21‑25.

Michaud, P., Dewost, A.-V., & Fouilland, P. (2006). “Boire moins c’est mieux”. La Presse Médicale, 35(5), 831‑839.

Prat, G., Adan, A., Pérez-PamiesP.P., Sánchez-Turet, M. (2008). Neurocognitive effects of alcohol hangover. Addictive Behaviors 33 : 15-23.

Razvodovsky, Y. (2021). Hangover Syndrome : Pathogenesis and Treatment. International Archives of Substance Abuse and Rehabilitation, 3(009). https://doi.org/10.23937/2690-263X/1710009

Smith, C. M., & Barnes, Grance M. (1983). Signs and symptoms of hangover : Prévalence and relationship to alcohol use in a general adult population. Drug and Alcohol Dependence, 11, 149‑269.

Srinivasan, S., Dubey, K. K., & Singhal, R. S. (2019). Influence of food commodities on hangover based on alcohol dehydrogenase and aldehyde dehydrogenase activities. Current Research in Food Science, 1, 8‑16.

Verster, J. C., Scholey, A., van de Loo, A. J. A. E., Benson, S., & Stock, A.-K. (2020). Updating the Definition of the Alcohol Hangover. Journal of Clinical Medicine, 9(3), 823. https://doi.org/10.3390/jcm9030823

Wiese, J. G., Shlipak, M. G., & Browner, W. S. (2000). The Alcohol Hangover. Annals of Internal Medicine, 132(11), 897-902.