Romain Capdepon est journaliste à la Provence, et connait bien son sujet. Il nous propose, dans cette enquête publiée aux Edition JC Lattès, une plongée au cœur de l’organisation du trafic de stupéfiants dans les quartiers Nord de Marseille, enquête qui a commencé à la mort de deux jeunes adolescents, des “minots“ comme on les appelle, c’est à dire des mineurs qui ne sont encore que des enfants comme le dit si bien le journaliste, même s’ils veulent jouer aux grands… Malheureusement ce n’est pas leur jeune âge qui les empêche de faire partie de cette main d’œuvre à portée de main dont disposent les chefs de réseaux pour en faire soit des guetteurs, les “Choufs“ comme on dit, ou même des vendeurs (ou charbonneurs) car leur minorité les protège de peines pénales trop lourdes. Il a fallu que Jean-Michel, seize ans, et Lenny, onze ans, se fassent tirer dessus à la kalachnikov, c’est à dire à l’arme de guerre, en bas d’un des bâtiments de la cité du Clos la Rose, pour qu’il y ait une véritable prise de conscience de l’implication de ces minots dans la structure du trafic. L’un des deux adolescents est mort suite à ses blessures. Le second garde encore aujourd’hui des séquelles physiques et psychologiques lourdes… Le 19 novembre 2010 des hommes cagoulés ont débarqué dans la cité et ont tiré sur tout ce qui bouge. Lenny ne faisait pas partie du trafic, mais Jean-Michel lui était guetteur à temps plein.
Romain Capdepon part de ce double drame pour essayer de nous faire comprendre comment des gamins encore mineurs peuvent se retrouver à guetter toute une journée les arrivées suspectes dans la cité ou à vendre du cannabis ou de la cocaïne alors qu’ils devraient encore être scolarisés… Les temps on changé. Les hommes, les règles et la structure du banditisme du XXème siècle, ont fait place au début des années 2000, suite à un certain nombre d’arrestations et de règlements de compte, à ce que l’auteur qualifie de Narco-banditisme, en référence aux narco-trafiquants d’Amérique Latine. Les réseaux sont plus difficiles à cerner, à identifier, et les codes de valeur ont changé. Les familles mafieuses qui stabilisaient en quelque sorte les réseaux de production et de distribution, ont été remplacées par des individualités prêtes à tout pour gravir l’échelle sociale et économique du deal, quitte à exploiter les petites mains dociles et volontaires de la communauté à laquelle ils appartiennent et se faire entendre en usant d’une extrême violence si nécessaire. Si les minots, ceux impliqués dans le trafic, jouent le jeu, c’est qu’il savent ce qu’ils y gagnent : un confort de vie amélioré avec de quoi s’acheter quelques vêtements de marque à l’occasion, faire le beau dans la cité, remplir le frigo familial pas assez plein, et surtout acquérir une reconnaissance et une forme d’autonomie réservée en principe aux adultes. Si les minots s’y retrouvent de ce côté-là, il y a bien sûr l’autre versant du business, moins agréable, à savoir la soumission totale à des chefs qui ne rigolent pas et comptent récolter les fruits du travail de terrain. Ce sont eux qui font la loi et gagnent le plus. Ce sont pourtant les moins exposés. Même si l’appât du gain facile reste une des motivations principale des minots, il est souvent difficile pour eux d’intégrer le fait que, ramené au taux horaire, et compte tenu des risques pris, le compte n’y est pas toujours…
L’auteur nous explique qu’il est toujours plus facile de rentrer dans le système que d’en sortir, car la pression du clan est forte, et le réseau offre à ces gamins le terrain de jeu et les sensations qu’ils ont du mal à trouver ailleurs. Tout est là, en bas de chez eux : la dopamine et l’adrénaline, c’est à dire de quoi nourrir les sensations fortes recherchées à cet âge…