L’exposition prénatale au cannabis : quel impact ? Une importante revue parue dans la prestigieuse revue Nature Neuroscience

Cannabis

Si la légalisation de la consommation de cannabis à usage récréatif n’est pas à l’ordre du jour en France, de nombreuses sociétés occidentales ont assouplis leur législation à cet égard ces dix dernières années. Ainsi, le canada en 2018 a légalisé la consommation récréative, la production et la vente de cannabis suivant l’exemple donné par l‘Uruguay en 2013. De nombreux autres pays européens comme les Pays bas, le Luxembourg, la Belgique, l’Espagne ou l’Italie ont adopté une posture en demi-teinte en dépénalisant, la consommation et la possession en faible quantité.

Il semblerait que cet assouplissement global de la législation autour du cannabis contribue à renforcer la croyance de son innocuité dans la population générale. Ainsi, plusieurs études réalisées aux États-Unis montrent que de la prévalence de la consommation de cannabis augmente drastiquement chaque année chez les femmes enceintes au titre de traitement des nausées matinales1–3. Des études longitudinales ont pu mettre en évidence une augmentation de l’impulsivité, des comportements de prise de risque, de la sensibilité aux drogues ou encore de l’émergence de troubles psychotiques chez les enfants exposés in utero au cannabis 4,5.

Il devient donc urgent de comprendre comment l’exposition prénatale au cannabis peut prédisposer à l’expression de tels troubles.

Trois équipes de recherche, américaines, italiennes et hongroises se sont penchées sur la question : Dans leur étude, récemment publiée dans nature neuroscience Frau et col 6se proposent de tester dans un modèle animal l’hypothèse selon laquelle l’exposition prénatale au cannabis induirait des modifications cérébrales à l’échelle synaptique et moléculaire qui pourraient expliquer les conséquences comportementales cognitives observées chez la descendance.

Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont choisi d’administrer à des rates gestantes une faible dose de THC ou une solution saline contrôle quotidiennement du 5ème à l’avant dernier jour de la gestation (J5 – J20 sur 21), afin d’analyser l’impact sur le comportement et le neurodéveloppement de la descendance via une batterie de test. Ils ont montré que les animaux qui ont été exposés in utero au cannabis présentent spontanément plus de comportements de prise de risque et sont plus impulsifs, reproduisant le phénotype observé chez l’Homme.

Par ailleurs les animaux présentent un déficit de « prepulse inhibition », (capacité inhiber la réaction de sursaut à un stimulus test par un signal sonore dit « prepulse »), anomalie décrite chez les patients schizophrènes. Dans leur étude, les auteurs ont pu établir que ce déficit est corrélé à une augmentation du niveau de dopamine extracellulaire dans le noyau accumbens suivant l’administration de THC, structure très importante du fait de son implication dans la récompense et la motivation. L’exposition prénatale au cannabis semble donc induire une sensibilisation du système dopaminergique mésolimbique, système de la récompense, chez le rat.

Frau et al ont ensuite mis en évidence une augmentation de l’activité locomotrice chez les animaux exposés au THC par rapport aux contrôles. De tels troubles rendent compte des modifications dopaminergiques induites par cette exposition prénatale au THC qui serait associée à une hyperdopaminergie. Les auteurs démontrent que cette hyperdopaminergie n’est pas liée à une augmentation du nombre de neurones dopaminergiques au niveau du système de la récompense et plus précisément de l’aire tegmentale ventrale mais à des modifications de l’excitabilité des cellules dopaminergiques.

Enfin, une des pistes de traitement proposée par les auteurs est la pregnenolone.  Elle est connue pour ses effets hormonaux et également comme régulateur négatif du récepteur CB1. Dans cette étude, un court traitement post natal suffit à améliorer le déficit de « prepulse inhibition » et à restaurer partiellement l’excitabilité des neurones de l’aire tegmentale ventrale chez les animaux exposé en prénatal au THC.

Pour conclure, cette étude très élégamment menée démontre de façon concrète la nocivité de l’exposition prénatale au cannabis chez le rat : celle-ci induit des modifications électrophysiologiques et moléculaires au sein de l’aire tegmentale ventrale (fief du système dopaminergique), menant à une hyperactivité dopaminergique chez la progéniture. Ces anomalies développementales sous-tendent l’expression de troubles comportementaux tels que l’hyperactivité et impulsivité.

Si de telles questions restent très difficiles à tester chez l’homme, il apparaît indispensable de prévenir la consommation de cannabis chez la femme qui a un projet de grossesse et de proposer une aide à l’arrêt dès que possible.  Il nous apparaît important d’informer sur les conséquences connues pour le fœtus et l’enfant à venir de la consommation de cannabis et de développer l’accès à une prise en charge le plus tôt possible.

Un article traduit et rédigé par Laurence Lalanne-Tongio et Camille Pujol

BIBLIOGRAPHIE

  1. Brown, Q. L. et al. Trends in Marijuana Use Among Pregnant and Nonpregnant Reproductive-Aged Women, 2002-2014. JAMA 317, 207–209 (2017).
  2. Young-Wolff, K. C. et al. Trends in marijuana use among pregnant women with and without nausea and vomiting in pregnancy, 2009-2016. Drug Alcohol Depend. 196, 66–70 (2019).
  3. Oh, S., Salas-Wright, C. P., Vaughn, M. G. & DiNitto, D. M. Marijuana use during pregnancy: A comparison of trends and correlates among married and unmarried pregnant women. Drug Alcohol Depend. 181, 229–233 (2017).
  4. Fine, J. D. et al. Association of Prenatal Cannabis Exposure With Psychosis Proneness Among Children in the Adolescent Brain Cognitive Development (ABCD) Study. JAMA Psychiatry 76, 762–764 (2019).
  5. Huizink, A. C. Prenatal cannabis exposure and infant outcomes: overview of studies. Prog. Neuropsychopharmacol. Biol. Psychiatry 52, 45–52 (2014).
  6. Frau, R. et al. Prenatal THC exposure produces a hyperdopaminergic phenotype rescued by pregnenolone. Nat. Neurosci. (2019) doi:10.1038/s41593-019-0512-2.

Consulter en ligne