
Depuis le 1er mars 2025, les patients se faisant prescrire des antidouleurs à base d’opioïdes et de codéine devront présenter une ordonnance « sécurisée » à leur pharmacien. Grâce notamment à un filigrane représentant un caducée ou certaines caractéristiques techniques identifiables par les pharmaciens, les autorités sanitaires veulent réduire le risque de falsification d’ordonnances, en hausse ces dernières années. En 2022, le gendarme du médicament(Nouvelle fenêtre) relevait que 17,3% des fausses ordonnances concernaient du Tramadol, 15,8% du sirop contre la toux à base de codéine et 11,1% de la codéine associée à du paracétamol.
Si ces molécules se révèlent utiles pour soulager les douleurs, elles peuvent néanmoins créer une forte dépendance chez certains patients et conduire à des « troubles de l’usage, avec des conséquences importantes pouvant aller jusqu’au décès par arrêt respiratoire », prévient la Haute Autorité de santé(Nouvelle fenêtre). Ces problèmes sont largement documentés outre-Atlantique, où la crise des opioïdes cause la mort de milliers d’Américains chaque année. En France, en 2022, 17 personnes sont mortes d’un « empoisonnement accidentel » au Tramadol, six impliquaient de la codéine et quatre de l’oxycodone, selon l’ANSM(Nouvelle fenêtre). De la première gélule ingérée au parcours du combattant pour se défaire de leur addiction, franceinfo a recueilli les témoignages de six personnes devenues accros à ces molécules.
Rafik : « Pour la première fois de ma vie, je me sens dépendant de quelque chose »
Commerçant à la retraite à Saint-Denis-de-La-Réunion, 70 ans. « J’ai tout essayé pour arrêter le Tramadol. Ma vie a complètement changé depuis que je suis accro. Quand je pars en voyage, je cache mes cachets un peu partout, dans la valise, dans mon sac à dos… Comme ça, si jamais on perd ma valise, j’ai toujours une boîte au cas où.
Pour l’instant, les médecins continuent à m’en prescrire car ils ne savent pas comment me sevrer. Je leur ai dit que j’en avais marre de ce médicament, mais j’en ai besoin. Sinon je vais très mal. Je tremble, mes douleurs aux lombaires reviennent et je n’arrive pas à fermer l’œil. Pour la première fois, à 70 ans, je me sens dépendant de quelque chose alors que je n’ai jamais pris d’alcool, de drogue ou de tabac. »
Pascal : « C’est peut-être le moment de tout arrêter »
Aide-soignant à Nice, 57 ans. « J’ai pris mes premiers antalgiques à la suite d’une opération des vertèbres en 2008. D’abord avec de l’Oxycontin, qui était délivré sous ordonnances sécurisées, puis de l’Ixprim et du Tramadol. Et là, ça a été la descente aux enfers. Cette molécule est un très bon antalgique, c’est extraordinaire. Mais elle a aussi un effet antidépresseur, et comme j’ai des tendances dépressives, j’ai continué à en prendre alors que je n’avais plus mal. Deux par jour, puis trois, puis quatre… Et la course au Tramadol a commencé.
Au plus fort de mon addiction, je m’en faisais prescrire par mon médecin, je faisais les trousses à pharmacie de mes amis, je me servais discrètement à l’hôpital où je travaillais. Pour faire du stock, je présentais de fausses ordonnances aux pharmaciens, c’était très simple. Aujourd’hui, quand je n’ai plus de médicament, une amie me dépanne en s’en faisant prescrire. J’ai toujours ce qu’il faut grâce à ce tour de passe-passe.
J’ai réussi à arrêter le Tramadol entre 2021 et 2023 en le remplaçant par du paracétamol codéiné, qui a un effet planant. J’en reprends de temps en temps, depuis qu’une amie m’en a proposé. J’ai d’abord dit non, puis j’ai cédé. Comme un fumeur qui reprend une cigarette. Je prends tout cela dans des quantités beaucoup moins importantes maintenant. Je suis obligé de faire attention. D’autant plus qu’il va être encore plus difficile de m’en procurer avec les ordonnances sécurisées. Et en même temps, c’est peut-être le moment pour moi de tout arrêter. »
En savoir plus : www.francetvinfo.fr.
Retrouvez l’interview du Dr Mathieu Chappuy sur le risque d’addiction aux médicaments antidouleurs.