Médicaments antidouleurs : le risque d'addiction "concerne monsieur et madame Tout-le-Monde", prévient le Dr Mathieu Chappuy

Depuis le 1er mars 2025, les antalgiques à base d'opioïdes, comme le tramadol et le paracétamol codéiné, sont délivrables en pharmacie uniquement sur présentation d'une ordonnance sécurisée.

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Photo Mathieu Chappuy
Dr Mathieu Chappuy, pharmacien hospitalier spécialisé en addictologie au Cerlam (Centre Ressources Lyonnais des Addictions Médicamenteuses) et rédacteur scientifique pour Addict’AIDE.

Une mesure dissuasive pour limiter les risques. Les antidouleurs à base d’opioïdes et de codéine sont prescrits via des ordonnances dites « sécurisées » depuis le 1er mars 2025.

Avec un filigrane difficile à reproduire et certaines caractéristiques techniques identifiables par les pharmaciens, les autorités sanitaires ambitionnent de réduire le risque de falsification d’ordonnances. En 2022, l’Agence nationale de sécurité du médicament(Nouvelle fenêtre) (ANSM) relevait que 17,3% des fausses ordonnances concernaient du tramadol, 15,8% de la codéine antitussive, et 11,1% de la codéine associée à du paracétamol.

Utilisées pour soulager les douleurs, ces molécules peuvent créer une forte dépendance et conduire à des « troubles de l’usage, avec des conséquences importantes pouvant aller jusqu’au décès par arrêt respiratoire », prévient la Haute Autorité de santé(Nouvelle fenêtre). Pour faire face à cette situation, le premier centre de ressources exclusivement dédié aux addictions médicamenteuses(Nouvelle fenêtre) (Cerlam) a ouvert ses portes en mai 2022, à Lyon. Franceinfo a interrogé le docteur Mathieu Chappuy, pharmacien hospitalier spécialisé en addictologie au Cerlam et rédacteur scientifique pour Addict’AIDE.

Franceinfo : Que pensez-vous de la mise en place des ordonnances sécurisées ? 

Mathieu Chappuy : C’est une mesure plébiscitée par les addictologues. Les ordonnances sécurisées existent déjà depuis 1999 pour certains opioïdes plus puissants, comme la morphine. L’unique objectif est de réduire les falsifications des prescriptions qui sont en hausse ces dernières années. Jusqu’à présent, le tramadol et la codéine se faisaient sur prescription simple, c’est-à-dire sur un bout de papier, avec un simple tampon du médecin. C’était très simple à contrefaire. Avec ce support sécurisé, ce sera beaucoup plus difficile. Cela ressemble presque à un billet de banque en matière de sécurité. Il y a un filigrane, un numéro de série, un papier avec un grammage spécial et une encre spécifique.

Avez-vous constaté une augmentation des fraudes aux ordonnances ces dernières années ?

Oui. Chaque année, l’ANSM réalise une enquête sur le sujet(Nouvelle fenêtre). Elle a révélé une hausse du nombre d’ordonnances falsifiées ces dernières années sur ces molécules en particulier. C’est logique, puisqu’on constate également une hausse des troubles liés à l’usage d’opioïdes. Nous sommes conscients que ces ordonnances ne régleront pas le problème dans son intégralité. L’enquête révèle que parmi celles falsifiées, 16% l’étaient sur un support sécurisé. En revanche, l’arrivée courant 2025 de la « e-prescription » (ou ordonnance numérique) devrait éliminer ce problème, mais ces outils n’empêcheront pas les patients de multiplier les rendez-vous médicaux pour obtenir plusieurs ordonnances ou de demander à toute la famille de se faire prescrire des antidouleurs.

Vous travaillez dans un centre spécialisé dans la prise en charge de ces addictions spécifiques. Quel est le profil de patients que vous traitez ? 

Ce n’est pas tout à fait la même population que celle qui est dépendante aux drogues illicites. Le tramadol et la codéine concerne monsieur et madame Tout-le-Monde. Il y a souvent chez eux un côté anxieux, et ils trouvent un réconfort dans ce produit qui gère la douleur, mais qui permet aussi d’apaiser l’anxiété.

« On constate aussi une légère prédominance féminine, avec des patientes à qui on a prescrit ces médicaments pour des problèmes gynécologiques, comme des règles douloureuses » ajoute Mathieu Chappuy, pharmacien hospitalier spécialisé en addictologie.

Ces personnes trouvent une certaine sécurité à les acheter en pharmacie (et ils n’ont pas tort, les drogues illicites sont coupées avec beaucoup de substances peu recommandables). Toutefois, l’usage reste le même que celui d’une personne qui va acheter son héroïne. Souvent, les patients nient en bloc, mais c’est la même problématique. La personne va chercher toute la journée à obtenir ses traitements. Quand elle les arrête, elle est confrontée à un phénomène de sevrage avec des symptômes physiques. Seul le mode d’achat est différent.

En savoir plus : www.francetvinfo.fr.

Retrouvez les témoignages de patients qui racontent leur addiction aux médicaments antidouleurs.