La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions importantes sur les personnes qui souffrent de troubles de l’usage des opiacés (TUO) en raison des difficultés d’accès aux soins, qui favorisent ainsi l’isolement, l’aggravation des problèmes de santé, les violences, les consommations solitaires ; ce qui amplifie ainsi considérablement les inégalités, particulièrement chez les populations les plus vulnérables. Parallèlement, des innovations technologiques sont apparues et permettent le développement de la télémédecine avec de nombreux appels à investissement afin de faciliter l’accès et l’efficience des soins.
La télémédecine reste néanmoins aujourd’hui en accès restreint pour les patients qui souffrent de TUO, tout particulièrement pour les personnes en situation de grande précarité comme les migrants ou les personnes sans domicile ce qui creuse un peu plus le fossé des inégalités sanitaires et sociales. La capacité de la téléconsultation à réduire la morbidité et la mortalité par overdose chez les personnes vulnérables reste actuellement inconnue. Différents modèles de télémédecine utilisés à travers le monde ont déjà été évalués et peuvent améliorer l’accès aux soins. L’article classe en quatre catégories les modèles de structuration de la télémédecine pouvant répondre aux besoins des personnes souffrant de TUO.
Modèle 1 : viser l’inclusion
Ce modèle vise à atteindre les publics marginalisés qui se situent à l’intersection de multiples formes d’exclusion (sans-abrisme, statut de travailleur du sexe, de migrant, antécédents judiciaires…).
Il utilise comme levier d’accès aux soins la sensibilisation par la médecine de rue, les unités sanitaires mobiles et les acteurs de la réduction des risques. Les consultations médicales sont proposées au patient dans un lieu sécurisé, non seulement d’un point de vue environnemental mais aussi psychologique. L’entretien est assuré dans un principe de non jugement, qui prend en considération les traumatismes et apporte des soins culturellement adaptés avec une forte composante de santé communautaire.
Les objectifs de réduction de consommation y sont pris en compte et respectés, les entrées en bas seuil d’exigence sont possibles avec des initiations de traitement à domicile le jour même. Afin d’assurer la protection des plus vulnérables, certains projets ont mis à disposition des casiers dans la rue où les patients peuvent déposer leur traitement en toute sécurité.
Suite aux consultations de télémédecine qui donnaient lieu à une prescription médicale, le transport de certains patients est assuré jusqu’à la pharmacie par les équipes de terrain. Afin d’atténuer les risques d’exclusion numérique, le matériel de téléconsultation est mis à disposition dans des cabines de téléconsultation de rue par exemple.
Modèle 2 : sécuriser les transitions
Le second modèle de télémédecine est axé sur la promotion de la stabilité sociale du patient et la continuité des soins interservices. Il prévoit des structures de soins relais et des parcours entre les spécialistes. Il se focalise sur une cartographie complète du parcours du patient avec une attention particulière portée sur les processus de transitions dits à hauts risques comme les changements de praticien, les sorties d’hospitalisation ou de prison, les déménagements ou la précarisation.
L’un des objectifs principaux est d’atténuer les risques liés aux changements. Cela inclut la proposition des soins périnataux, l’accompagnement des détenus en libération anticipée pour raisons sanitaires lors du premier confinement COVID-19? mais aussi l’accompagnement intégré des maladies chroniques. Par exemple, un service pilote de suivi post-admission aux urgences suite à une overdose peut émettre des appels réguliers de suivi au patient ainsi que la possibilité d’un accompagnement rapide dans l’accès aux soins.
Modèle 3 : boucher les trous
Ce modèle de télémédecine s’attache à pallier aux besoins non satisfaits, notamment sociaux, de traitement des comorbidités et de réduction des risques. Des coordonnateurs médicaux articulent les interactions avec les services de santé et créent des plans de soins individualisés. La prise en soins est plurisectorielle et pluridisciplinaire, elle intègre des professionnels de santé, des travailleurs sociaux, des conseillers juridiques et des travailleurs de proximité.
Le programme de soins individualisés permet d’adapter les interventions des différents acteurs en fonction des besoins et propose des consultations interdisciplinaires comme par exemple pour les soins des infections virales (VIH, hépatites). Ainsi, des dépistages sont proposés par les acteurs de terrain avec une possibilité de mise en place immédiate des traitements. Des applications téléphoniques et des hotlines sont indiquées pour répondre aux demandes. Dans ce modèle, une attention particulière est portée à la télépsychiatrie et aux consultations de psychologie.
Modèle 4 : améliorer la réponse territoriale
Le dernier modèle est conçu autour des besoins d’un service existant pour combler les lacunes en matière de ressources ou de couverture géographique, supprimer la charge administrative, accroître la flexibilité pour innover, changer et s’adapter. Le logiciel de télémédecine est développé « en interne », ce type d’installation peut faciliter le dépistage et l’aide à l’orientation aux soins dans les déserts médicaux.
Le service intègre des critères d’inclusion protocolisés spécifiques et prédéfinis. Les prestations de services sont concertées entre l’organisation hôte et les hébergeurs du dispositif pour correspondre de façon pragmatique aux objectifs stratégiques de la télémédecine. Les résultats sur l’accessibilité des soins sont dépendants de l’efficacité du logiciel. Les modèles de télémédecine de ce type ne permettent actuellement pas l’intégration des outils de réduction des risques et sont dédiés aux objectifs d’abstinence.
La télémédecine est un outil qui peut permettre de pallier au nombre limité de spécialistes (dont prescripteurs) en addictologie et de réduire le nombre de décès par overdose ainsi que d’autres conséquences liées aux TUO.
Chacun des modèles proposés dans cet article n’est pas exclusif et peut interagir avec les autres. Une telle mise en œuvre impose de considérer les freins et limites :
- la nécessité du contact physique pour les traitements d’urgence (pré et post-expositions, naloxone..), les programmes d’échanges de seringues…
- l’adaptabilité des spécialistes face aux patients les plus précaires et aux cas dits complexes (par exemple pouvoir substituer au contrôle biologique réglementaire pour l’instauration de traitements une analyse différée sur matrice salivaire).
- la résolution des incertitudes en matière de protection des données.
Marine Garnier