Recommandations australiennes sur la déprescription des antalgiques opioïdes

Médicaments

Introduction :

Comme de très nombreux pays, l’Australie utilise majoritairement les opioïdes pour traiter des douleurs chroniques non cancéreuses en médecine de ville. En Australie, chaque année, 7 % de la population initie un traitement par opioïdes. Or si les opioïdes sont souvent efficaces sur les douleurs aiguës, leur balance sur le long terme (≥ 3 mois) est plus discutable et la littérature rapporte qu’environ 80 % des patients traités plus de 3 mois présentent des effets indésirables.

Le problème majeur résulte dans ce phénomène de tolérance qui nécessite d’augmenter les doses pour obtenir l’effet initial ce qui enferme le patient et son médecin dans une spirale infernale. Si tous les professionnels de santé s’accordent à dire qu’il faudrait déprescrire, la question reste toujours la même : comment ? Et en pratique, nombreux sont ceux qui, en tentant de déprescrire, se heurtent aux difficultés de ce sevrage et finissent par poursuivre la prescription.

17 auteurs pluriprofessionnels ont donc réalisé une analyse de la littérature pour proposer des recommandations de déprescription des antalgiques opioïdes.

Matériels et méthodes :

Il s’agit d’une revue de la littérature et d’une gradation selon la méthode GRADE avec pour objectif de répondre à 3 questions :

  • La déprescription d’opioïdes présente-t-elle des avantages ou des inconvénients par rapport à la poursuite du traitement ?
  • Quelles sont les données disponibles pour savoir comment déprescrire les opioïdes ?
  • Quelles sont les interventions efficaces pour faciliter la déprescription d’opioïdes ?

Cette étude se limite à l’adulte et à toutes les douleurs.

Résultats :

11 recommandations (niveaux faibles) :

  1. Prévoir la déprescription en même temps que l’initiation. Il est important d’envisager la prise en charge multimodale de la douleur. Prévoir une prescription d’opioïdes de seulement quelques jours/semaines au plus. La Naloxone (antidote) est à considérer.
  2. Chez les patients douloureux non cancéreux déjà traités, il faut déprescrire s’il n’y a pas d’amélioration cliniquement significative et/ou si des effet(s) indésirable(s) sont présents. La déprescription doit se faire en réalisant un sevrage lent.
  3. Chez les patients douloureux cancéreux déjà traités, il faut déprescrire s’il n’y a pas d’amélioration cliniquement significative et/ou si des effet(s) indésirable(s) sont présents. La déprescription doit se faire en réalisant un sevrage lent.
  4. Il faut également déprescrire chez les patients qui présentent des comorbidités (apnée du sommeil, BPCO…, utilisation de sédatif comme les benzodiazépines, l’alcool, les gabapentinoïdes, les antipsychotiques et les antidépresseurs sédatifs) ou si des doses élevées d’opioïdes sont prescrites.
  5. Ne pas déprescrire si le patient se trouve dans un cadre palliatif.
  6. Ne pas déprescrire si le patient présente un trouble d’usage des opioïdes tout en l’orientant vers des soins adaptés avec la prescription d’un traitement de substitution.
  7. Réaliser une déprescription graduelle et lente. Un sevrage brutal augmente les dommages et risques de rechutes.
  8. Adapter le plan de déprescription à l’individu, à ses objectifs et préférences.
  9. Evaluer régulièrement un patient qui prend des opioïdes y compris pendant la phase de déprescription. 
  10. Lorsque nécessaire, il faut envisager une prise en charge pluriprofessionnelle et utiliser des thérapeutiques non pharmacologiques (traitement multimodal).
  11. Utiliser une méthode fondée sur l’evidence based medecine dans la prise en charge.

En pratique, pour la déprescription, ils proposent de réduire comme suit :

  • Pour une durée inférieure à 3 mois d’utilisation : réduction de 10 à 25 % toutes les semaines
  • Pour une durée supérieure à 3 mois d’utilisation : réduction de 10 à 25 % toutes les 4 semaines
  • Pour une durée supérieure à 1 an d’utilisation ou dans le cas d’une forte posologie : réduction très progressive.

Pour les effets indésirables, ils proposent le métoclopramide 10 mg (3 fois/jour) en cas de nausées ou de vomissements ou l’ondansetron 4 à 8 mg toutes les 12h.

Pour la diarrhée, ils proposent le Lopéramide (qui soit dit en passant est un opioïde qui se fixe sur les récepteurs µ de l’intestin pour réduire le péristaltisme).

Pour les crampes abdominales, ils conseillent la hyoscine butylbromide non disponible en France et dont l’autre nom est le butylscopolamine soit l’équivalent du scoburen® en injectable (AMM disponible en France, mais uniquement remboursé dans le cadre de soins palliatif).

Pour les douleurs musculaires ou autres, ils conseillent l’ibuprofène ou le paracétamol.

NB : les spécialités non disponibles en France ne sont pas reportées ici.

Conclusion :

Ce travail a l’avantage de consolider les données et de proposer les premières recommandations sur la déprescription des opioïdes antalgiques chez l’adulte à destination des médecins généralistes essentiellement. La nécessité d’aborder la déprescription en même temps que l’initiation est primordiale. La prise en charge multimodale et pluriprofessionnelle doit devenir systématique si l’on veut pouvoir réussir la déprescription des opioïdes du contexte douloureux.

L’algorithme proposé en anglais pourrait être une aide pour ces prescripteurs.

En revanche, ces données de littératures sont connues des addictologues et n’apportent pas de nouvelles données. Il est donc indispensable de poursuivre la recherche clinique afin d’apporter d’autres éléments dans la prise en charge des patients sous opioïdes.

Par Mathieu Chappuy