Tabac et cannabis : a-t-on vraiment des politiques de santé cohérentes?

Est-ce que vous vous êtes fait la remarque que le milieu addictologique était parfois compliqué à suivre ? Souvent pour la légalisation du cannabis, les addictologues sont souvent aussi très en faveur des restrictions croissantes portées sur le tabac et prônent pour une grande majorité d’entre eux un objectif d’éradication via notamment la cigarette électronique.

Cannabis

Est-ce que vous vous êtes fait la remarque que le milieu addictologique était parfois compliqué à suivre ? Souvent pour la légalisation du cannabis, les addictologues sont souvent aussi très en faveur des restrictions croissantes portées sur le tabac et prônent pour une grande majorité d’entre eux un objectif d’éradication via notamment la cigarette électronique.

Développer le cannabis et restreindre le tabac. Comment articuler un argumentaire cohérent entre ces deux positions qui semblent à première vue si contradictoire ? C’est à cette question que l’article extrêmement stimulant intellectuellement de Wayne Hall (le grand nom des programmes d’évaluation sur la légalisation du cannabis au niveau international) et sa collègue Lynn Koslowski essaie de répondre, en proposer de tracer une ligne conductrice claire et cohérente sur les programmes de santé publique autour des addictions aux USA. Ils rappellent que la priorité des programmes de santé publique avec une approche addictologique prépondérante, c’est de favoriser la prévention et l’accès aux soins. Dans cette perspective, la prohibition des produits est jugée néfaste car empêchant la prévention (en particulier la prévention primaire et secondaire) et limitant l’accès aux soins. C’est la raison pour laquelle, si les mesures de restrictions du tabac sont encouragées, la prohibition du tabac n’est jamais proposé comme une option valide de santé publique. Le développement de la e-cigarette devrait idéalement permettre une éradication du tabac, mais celle-ci devra être guidée par une taxation progressivement inéquitable entre tabac et e-cigarette d’une part, et réduction progressive du taux de nicotine dans les cigarette de l’autre.

A l’inverse, les auteurs soulignent un point-clef et souvent oublié par les tenants « politiques » de la légalisation du cannabis, c’est que, dans une perspective de santé publique cohérente, toute légalisation devra s’accompagner de mesures drastiques de taxation et de restrictions multiples à l’usage de cannabis. De la même façon, les futurs industriels du cannabis devront faire l’objet d’une surveillance et d’un encadrement identiques à ceux des industriels du tabac, car il est vraisemblable qu’ils utiliseront les mêmes techniques de communication pour inciter les adolescents à fumer du cannabis le plus tôt possible, et le plus souvent possible.

Aux USA, certains états suivent décidément bien plus qu’en France les conseils et avis des addictologues et des autres spécialistes du champ des addictions. Les politiques de santé publique font donc parfois figure d’avant-garde pour nous français, avec une interdiction des cigarettes mentholées à venir, et en même temps une légalisation du cannabis dans certains états. Mais surtout, et cet article en est une illustration de plus, les américains anticipent tout, évaluent tout, débattent de tout, et ils le font dans un climat plutôt serein, là où malheureusement en France, les débats constructifs sont souvent étouffés dans l’œuf par des politiques clientélistes et/ou un militantisme stérile. Bon c’est vrai que ce n’est pas si simple, car parfois certains sujets restent assez tabous aux USA (par exemple les salles de consommation à moindre risque) alors qu’ils avancent malgré tout en France.

Pour conclure, nous-autres addictologues qui pourfendons dès que nous avons l’occasion les manÅ“uvres de l’industrie du tabac tout en prônant la nécessité d’une légalisation encadrée, rappelons-nous que demain, ce seront peut-être les mêmes industriels qui commercialisera le tabac finissant et le cannabis triomphant…

Par Benjamin Rolland

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