“Mon année de repos et de détente“, un roman de Ottessa Moshfegh

Médicaments

Ce roman à la première personne nous invite au tout début des années 2000 à New-York dans les quelques moments de veille d’une jeune femme qui a décidé, pour s’exclure provisoirement du monde qui l’entoure de prendre une année sabbatique, non pas loin de chez elle, mais au plus près, c’est à dire au fond de son lit. Une très forte dose de sommeil dont elle pense qu’il sera réparateur et lui permettra de se régéner pour de bon et repartir pour un nouveau chapitre de sa vie. « En mon for intérieur, je savais – c’était peut-être la seule chose que mon for intérieur ait su à l’époque – qu’une fois que j’aurais assez dormi, j’irais bien. Je serais renouvelée, ressuscitée… Ma vie passée ne serait qu’un rêve, et je pourrais sans regret repartir de zéro, renforcée par la béatitude et la sérénité que j’aurais accumulées pendant mon année de repos et de détente. ». Cette jeune femme, visiblement très belle, issue de la société bourgeoise new-yorkaise, vit dans un appartement luxueux et travaille dans une galerie d’art, mais sa situation sociale et financière ne suffit pas à son bonheur. Quelques événements de sa vie lui reste en travers et encombre son cerveau. Elle a perdu ses parents il y a quelques années, son père d’un cancer, et sa mère d’un suicide, et n’arrive pas encore à surmonter son chagrin. La relation qu’elle a entretenu avec son petit ami, Trevor, devenu son ex, a aussi laissé des traces… Le monde qui l’entoure semble lui peser aussi. Alors assoupir son cerveau c’est aussi le protéger. « Je pensais que la vie serait plus tolérable si mon cerveau était plus lent à condamner le monde autour de moi… » Elle démissionne donc de son boulot, vit de ses rentes, et s’enferme chez elle, avec seulement quelques excursions au-dehors…

Se reconstruire par la détente et le repos forcé, c’est l’objectif qu’elle s’est fixé. Dormir le maximum de temps dans la journée en ne s’accordant que quelques pauses exceptionnelles de 2-3 heures qu’elle occupera, soit en s’abrutissant avec les films de ses acteurs fétiches qui tournent en boucle dans son magnétoscope, soit en allant au bout de la rue récupérer des repas tout préparés à la bodega du coin, soit en acceptant malgré elle les conversations futiles d’une très bonne amie Reva qui l’empêche de dormir et ne comprend pas sa nouvelle façon de vivre et cet objectif de sédation.

Pour s’anesthésier au mieux, la jeune femme de vingt-quatre ans, dont on ne saura jamais le nom, prend contact avec une psychiatre, la première venue qui, par chance pour elle, mais sûrement pas pour la profession, prescrit plus vite que son ombre des anxiolytiques et somnifères en nombre, sans s’intéresser vraiment au parcours de sa patiente, au alors, en l’oubliant totalement d’un rendez-vous sur l’autre… La stratégie de la belle endormie est simple : faire croire au Dr Tuttle qu’elle a en fait du mal à dormir et qu’il faut absolument qu’elle lui vienne en aide pour trouver le repos. La complaisance du médecin est d’un grand secours pour la jeune femme qui n’arrive pas à totalement mener sa mission à bien, ou du moins pas à la hauteur de ce qu’elle espérait… Les effets secondaires de certains médicaments, notamment l’infermiterol, somnifère expérimental inventé par l’auteure, lui provoque même parfois des black-out de plusieurs jours, qui sont psychologiquement inconfortables car associés à un somnambulisme qu’elle ne contrôle pas…

Ici le choix du sommeil ou de la somnolence grâce aux somnifères et aux anxiolytiques, fait le pendant de l’agitation de la Grande Cité et ses stimulations en nombre. Difficile pour la jeune femme de s’exclure totalement d’un monde et de sentiments qui la submerge ou du moins la bouscule. L’accumulation des prises de médicaments et les effets recherchés ne sont qu’un leurre. La forêt est toujours peuplée de loups que la protagoniste du roman doit essayer d’apprivoiser ou du moins affronter à un moment ou à un autre, au risque sinon qu’ils lui sautent au visage dès que les effets ne seront plus au rendez-vous. Plus facile à dire qu’à faire bien entendu…

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