Crise des opioïdes : une étude exploratoire mondiale à partir de la base de pharmacovigilance de l'OMS

Médicaments

La crise des opioïdes qui sévit aux États-Unis, a débuté il y a plus de 20 ans pour devenir la première cause de décès accidentels dans le pays, avec plus de 100 000 overdoses mortelles enregistrées en 2021. De la même façon qu’une épidémie, il existe un risque de diffusion de cette crise ailleurs dans le monde mais où ? Nous avons cherché à identifier les pays à fort potentiel de troubles de l’usage pour des opioïdes licites, prescrits à visée antalgique, en utilisant la base de pharmacovigilance de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

La pharmacovigilance se définit comme la surveillance et la prévention des effets indésirables médicamenteux. Leur notification spontanée partout dans le monde, alimente des bases de données nationales et internationales. A ce jour, la plus importante d’entre elles est nommée VigiBase®. En 2022, 170 pays membres de l’OMS participent à ce programme.

Cinq opioïdes largement utilisés dans le monde ont été inclus : l’oxycodone, le fentanyl, la morphine, le tramadol et la codéine. Nous avons extrait tous les cas notifiés d’abus et de dépendance associés à ces médicaments, enregistrés dans VigiBase® jusqu’en juin 2021. Tous les pays avec au moins une notification pour chacun des 5 opioïdes d’intérêt ont été retenus. L’association entre l’utilisation de chaque médicament et la survenue de cas d’abus et de dépendance a été quantifiée pour chaque pays. Une classification hiérarchique des pays a ensuite été réalisée afin d’identifier des groupes (ou clusters) présentant un même risque rapporté d’abus et de dépendance aux opioïdes.

Parmi 21 pays inclus, quatre groupes distincts présentant des profils similaires d’abus et de dépendance aux opioïdes ont été identifiés. Le groupe avec le potentiel le plus élevé comprend les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Allemagne et la France. Pour certains pays, ces résultats ne constituent pas une surprise : les Etats-Unis occupent la 1ère place en nombre de morts par overdose d’opioïdes (le total dépasserait les 500 000 depuis le début de la crise) et le Canada se classe 2ème. Le Royaume-Uni et l’Australie ont également reconnu être touchés, adoptant depuis plusieurs années des mesures comme la vente libre de naloxone, antidote spécifique des opioïdes. En revanche, la présence dans ce même groupe de 2 pays d’Europe occidentale, l’Allemagne et la France, est plus inattendue.

La situation française est aujourd’hui loin d’être comparable à celle des Etats-Unis (même si ce chiffre est sous-estimé, moins d’une dizaine de personnes meurent en moyenne d’une overdose aux opioïdes chaque semaine en France, contre 2000 aux Etats-Unis). La vigilance s’impose néanmoins, car notre étude suggère à partir de données de vie réelle, l’existence en France d’un « terrain » propice à la propagation possible de l’épidémie. Le défi consiste donc à encourager le bon usage des opioïdes, sans pour autant régresser en termes de prise en charge de la douleur.

« L’article original publié dans la Revue Addiction est disponible ici : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/add.16081 »

Un papier rédigé par le Dr Marion Robert, le Dr Nathalie Fouilhé Sam-Laï et le Dr Bruno Revol
Pharmacologues, praticiens au CEIP-Addictovigilance du CHU Grenoble Alpes