L’enjeu est de taille : il a été démontré que l’exposition aux publicités pour les paris sportifs était associée à un désir plus grand de jouer dans toutes les catégories de joueurs, et en particulier chez les joueurs problématiques. En effet, le contenu de ces publicités tend le plus souvent à banaliser le comportement de jeu, et leur multiplication à une moindre perception des dommages. Des messages de prévention dits de « jeu responsable » ont été proposé pour encourager les joueurs à prendre conscience de leur implication dans le jeu et à limiter les dommages liés aux jeux, espérant contre-carrer les messages publicitaires. Si le contenu de ces messages fait débat, le fait même qu’ils soient vus effectivement par les joueurs n’avait pas été exploré.
Lole L. et al ont analysé les mouvements oculaires de 59 joueurs ayant réalisé au moins un pari sportif par mois sur les 12 derniers mois et de 10 non joueurs. Ils les ont exposés à 6 différentes publicités télévisuelles pour les paris sportifs intégrant un bandeau d’information sur le jeu responsable. Le nombre pondéré de fixations du bandeau de prévention et des autres informations textuelles incitant à jouer ont été comparés, tenant compte de la proportion du temps pendant lequel l’information pertinente était visible par rapport à la durée totale pendant laquelle cette publicité était affichée à l’écran, avec une ANOVA pour mesures répétées, par catégorie de joueur.
Les auteurs ont montré que les bandeaux étaient petits, peu contrastés sur fond clair et figés, sauf pour une des publicités, de durées variables par rapport à la durée de la publicité et apparaissant à des moments différents de la publicité, soit dès le début, soit en cours. Le nombre de fixations des informations incitant à jouer était significativement plus important que le nombre de fixations des messages de jeu responsable (p < .001), et que le contexte de la publicité influait sur les temps de fixation (p < .001). Il n’a pas été montré que la catégorie de joueur influait sur le nombre de fixations, mais la proportion moyenne de fixations placées sur les messages sur le jeu responsable (en fonction du nombre total de fixations sur l’information textuelle dans toutes les publicités) était de 14,76 % dans tous les groupes de joueurs, comparativement à 29,4 % pour le groupe non joueur. Le type de publicité avait un rôle significatif sur le nombre de fixations (publicité incitant à jouer vs celles visant à augmenter la notoriété de ma marque de l’opérateur, p < .001), et une interaction significative a été trouvée entre le type de publicité et la catégorie de joueur (p = .006). Le bandeau de prévention sur une fond de couleur contrasté proposé par une des publicités a suscité plus de fixations que les bandeaux des autres publicités moins visibles (p < .05).
Au total, les bandeaux de prévention étaient moins vus que les autres informations textuelles, et que les messages ne sont pas pris en compte de manière homogène en fonction de leur présentation, du contexte, et des types de joueurs. De futures explorations sont nécessaires pour comprendre les profils les moins sensibles à ces stimulis, et s’assurer que ces messages de prévention soient designés de façon optimale pour toucher leurs cibles. Cette étude ouvre une piste pour éclairer les mesures de jeu responsable en se basant sur les preuves, afin qu’elles se donnent la possibilité d’effectivement protéger les joueurs, dans un contexte d’augmentation franche du nombre de parieurs sportifs et de publicités de plus en plus présentes dans l’espace publique et à la télévision.
Article rédigé par Amandine Luquiens