Validation de l’échelle de mésusage des prescriptions d’opioïdes (POMI) en version française

Médicaments

En 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a publié un rapport sur la consommation des antalgiques opioïdes en France, qui a augmenté en 10 ans. Cela s’explique par la politique d’amélioration de la prise en charge de la douleur, mais aussi par une augmentation du mésusage. D’après les données de l’assurance maladie, près de 10 millions de Français ont eu une prescription d’antalgiques opioïdes en 2015. En 2017, l’antalgique opioïde le plus consommé en France est le tramadol puis la codéine en association et la poudre d’opium associée au paracétamol. Viennent ensuite la morphine et l’oxycodone à quasi égalité puis le fentanyl transdermique et transmuqueux à action rapide.

Entre 2006 et 2017, la prescription d’opioïdes a augmenté d’environ 150 %. C’est l’oxycodone qui a connu l’augmentation la plus importante.

Face à ce constat, les pouvoirs publics agissent aussi bien sur le réglementaire en encadrant les conditions de prescription et de délivrance comme ce fut le cas du tramadol (limité à 12 semaines depuis le 15 avril
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041405871) que sur le bon usage (publication des recommandations de la Haute Autorité de Santé il y a quelques jours : Bon usage des médicaments opioïdes : antalgie, prévention et prise en charge du trouble de l’usage et des surdoses).

S’il faut traiter la douleur, il faut aussi pouvoir dépister le mésusage. Jusqu’à ce jour, il existait une échelle anglo-saxonne : la POMI (Prescription Opioid Misuse Index). Cette  échelle a été développée en 2008 aux USA dans le contexte de mésusage de l’oxycodone (crise américaine des opioïdes).

Introduction : Les auteurs de ce travail ont donc cherché à générer et à valider une version française de cette POMI. Version française qui inclut la traduction mais aussi une adaptation à la situation française dans un contexte de douleur chronique non cancéreuse (DCNC).

Méthode : Une étude psychométrique observationnelle, longitudinale et multicentrique avec une validation transculturelle a été menée. Tous les patients souffrant de DCNC, traités par opioïdes depuis au moins trois mois, suivis en structures douleur chronique et parlant le français étaient éligibles. 163 patients ont été inclus et 154 analysés. Tout le processus de validation (test-retest) a été respecté et le détail est décrit dans l’article original.

Résultat : 3 items (4, 7 et 8) de l’échelle POMI anglo-saxonne ont été supprimés pour faible cohérence interne et reproductibilité.  La POMI française se retrouve donc avec 5 questions et les auteurs la dénomment : POMI-5F. La cohérence interne de  cette échelle était bonne (α de Cronbach = 0,71), tout comme la fiabilité (r =0,65 [0,55–0,67]). La validité externe du POMI-5F comparé au DSM5 était modérée mais significative (r = 0,45; P < 0,001). Le score seuil du POMI-5F pour indiquer un mésusage était de 2/5 (sensibilité = 0,95 et spécificité = 0,54).

Ainsi nous retrouvons la POMI-5F suivante :

  • Avez-vous déjà pris ce/ces médicament(s) anti-douleur parce que vous étiez contrarié(e), c’est-à-dire pour soulager ou supporter des problèmes autres que la douleur ? OUI/NON
  • Avez-vous déjà pris ce/ces médicament(s) anti-douleur plus SOUVENT que prescrit(s) sur votre ordonnance, c’est-à-dire de réduire le délai entre deux
    prises ? OUI/NON
  • Avez-vous déjà eu besoin de faire renouveler votre ordonnance de ce/ces médicament(s) anti-douleur plus tôt que prévu ?  OUI/NON                                                    
  • Avez-vous déjà eu suffisamment de ce/ces médicaments anti-douleur (sur prescription) pour soulager votre douleur à un niveau acceptable ? OUI/NON
  • Un médecin vous a-t-il déjà dit que vous preniez trop de ce/ces médicament(s) anti-douleur ? OUI/NON
  • Avez-vous déjà eu la sensation de planer ou ressenti un effet stimulant après avoir pris ce/ces médicament(s) anti-douleur ? OUI/NON
  • Avez-vous déjà` pris ce/ces médicament(s) anti-douleur parce que vous étiez contrarié(e), c’est-à-dire pour soulager ou supporter des problèmes autres que la douleur ? OUI/NON
  • Avez-vous déjà consulté plusieurs médecins, y compris aux urgences, pour obtenir plus de ce/ces médicament(s) anti-douleur ? OUI/NON

Chaque réponse OUI donne 1 point. Ne pas compter les réponses à la question 4, 7 et 8. Un score ≥ 2/5 est un signe probable de mésusage.

En conclusion, cette échelle facile et très rapide à faire passer en soins courants est une aide dans la prise en charge de nos patients pour dépister le mésusage. Cette adaptation française était nécessaire puisque les modes de consommation ne sont pas les mêmes entre Américains et Français.

En effet, la population française va plus facilement faire du docteur shopping pour multiplier les prescriptions (coût de la consultation faible du généraliste français versus américain) que de faire la queue aux urgences comme c’était plus le cas outre-Atlantique. Ces différences expliquent en partie la suppression de la question 8 dans la version française. Ces éléments montrent bien que l’usage de cette échelle en dehors de la France, même à d’autres pays francophones (Canada, Belgique, Suisse…) est à utiliser avec précaution.

Comme cette échelle n’a pas inclus de patients atteints de douleur chronique cancéreuse, il n’est pas possible de déterminer la pertinence dans cette population. Néanmoins, 90 % des consommateurs d’opioïdes (70 % en quantité) n’ont pas de cancer. Cette échelle reste donc adaptée à la majorité des consommateurs.

Perspectives. Cette échelle rapide à faire passer et adaptée à l’usage français, peut être un outil pour les médecins traitants d’amorcer la problématique du mésusage d’opioïdes chez leurs patients. Trop de patients que nous voyons en addictologie racontent que leurs prescripteurs renouvelle parfois de façon anticipée, leurs prescriptions d’opioïdes sans jamais leur avoir posé la question du mésusage. Il en est de même pour les pharmaciens qui dispensent parfois sur de longues périodes (avec ou sans chevauchement) sans jamais également aborder ce sujet. Cet outil peut être une aide pour aborder le mésusage. Et comme le disait une campagne de santé publique : « En parler, c’est déjà se soigner ».

Par Mathieu Chappuy

Lien vers l’article original