Distorsions de la perception du temps liées à l'exposition aux jeux vidéo, à la pornographie et aux séries télévisées : étude expérimentale

L’exposition à des contenus liés à la pornographie et les séries télévisées semble induire des distorsions temporelles, sans lien formel démontré avec une utilisation excessive de ces comportements. Une synthèse scientifique réalisée par l’Institut fédératif des addictions comportementales (IFAC).

Autres addictions comportementales

Trois échantillons indépendants, composés d’hommes ou de femmes et provenant de deux pays (Luxembourg et Espagne), ont été constitués pour étudier les liens entre l’exposition à des contenus pouvant induire des pratiques excessives en ligne (jeux vidéo, pornographie, séries télévisées), les distorsions de la perception du temps qui passe et les comportements en ligne excessifs. Des liens entre les distorsions temporelles et les contenus liés à la pornographie et aux séries télévisées ont été mis en évidence, mais les résultats sont plus mitigés pour les liens avec les comportements excessifs. L’exposition aux jeux vidéo semble montrer des résultats opposés aux autres types de contenus, sans doute liés à la nature de l’expérimentation menée.

Cette synthèse présente les principaux résultats à retenir.

Pourquoi avoir fait cette recherche ?

La perception du temps implique deux processus cognitifs distincts :

  • La capacité à estimer le temps, c’est-à-dire de la durée d’un événement ;
  • La perception subjective de son passage.

Si le temps peut être mesuré objectivement, sa perception est subjective et elle dépend de multiples facteurs internes (la personnalité, les états émotionnels, les capacités cognitives…) et externes (complexité d’une tâche à réaliser, implication active ou passive…). Les troubles psychiatriques peuvent aussi altérer la perception du temps, comme dans le cas de l’usage de substances ou de comportements en ligne problématiques.

Néanmoins, il existe très peu d’études sur les liens existants entre une perception du temps altérée et un comportement en ligne problématique.

Quel est le but de cette recherche ?

Cette étude a pour but d’explorer la perception du temps (à travers les deux processus : estimation du temps et perception de son passage) quand les personnes sont exposées à des stimuli liés aux jeux vidéo, à la pornographie et aux séries télévisées. Le choix de ces types de stimuli était basé sur le fait qu’ils incluent tous les trois des caractéristiques qui peuvent contribuer à maximiser le temps passé en ligne et encourager un engagement continu, favorisant ainsi potentiellement un usage non régulé et un contrôle du temps compromis.

Ainsi, cette étude analyse dans quelle mesure l’exposition aux jeux vidéo, à la pornographie et aux séries télévisées affecte la perception du temps et si une éventuelle distorsion de la perception du temps est associée à des usages problématiques de ces comportements.

Comment les chercheurs ont-ils fait pour répondre à cet objectif ?

L’échantillon incluait 250 participants provenant de 3 échantillons indépendants et de 2 pays différents : 40 hommes au Luxembourg, 99 hommes en Espagne et 111 femmes en Espagne. Les participants ont été exposés à 4 vidéos, de contenus (jeux vidéo, pornographie, séries télévisées et documentaires classiques, jugés moins stimulants) et de durée (60, 90, 120, and 150 s) variables.

Ils étaient ensuite invités à estimer :

  • La durée de la vidéo (en secondes) ;
  • Leur perception du passage du temps sur une échelle de Likert (de très lent à très vite).

Les participants devaient aussi répondre à des questions permettant d’évaluer leur utilisation habituelle de jeux vidéo, de pornographie et de séries télévisées, et compléter des questionnaires pour évaluer si leur usage était problématique (le questionnaire Internet Gaming Disorder Test (IGDT-10) pour le jeu vidéo excessif, l’Internet Sex Screening Test (ISST) pour la pornographie excessive, et le Binge-Watching Engagement and Symptoms Questionnaire (BWESQ) pour le visionnage excessif de séries télévisées).

Le but des chercheurs était double :

  • Déterminer la précision de l’estimation de la durée des contenus et la perception du passage du temps quand on est exposé à des jeux vidéo, de la pornographie et des séries télévisées ;
  • Identifier les corrélations éventuelles entre les distorsions temporelles et les comportements problématiques.

Quels sont les principaux résultats à retenir ?

L’équipe de chercheurs s’attendait à des résultats montrant une sous-estimation de la durée des contenus et une impression que le temps est passé rapidement pour les contenus liés aux jeux vidéo, à la pornographie et aux séries télévisées, par rapport à un contenu jugé moins stimulant et de façon plus prononcée pour les contenus liés à la pornographie. L’hypothèse avait aussi été faite que les hommes seraient plus impactés, car plus sensibles à l’excitation.

Les résultats étaient plus mitigés. Pour les contenus de séries télévisées et de pornographie, les hommes sous-estimaient la durée d’exposition alors que les femmes l‘estimaient assez précisément. Néanmoins, les deux, hommes et femmes, percevaient le temps comme s’écoulant plus vite quand ils étaient exposés à des séries télévisées et à de la pornographie. Pour les jeux vidéo au contraire, les chercheurs ont mis en évidence une tendance constante à surestimer la durée d’exposition et une perception du temps plus lente (ce qui peut s’expliquer par le fait que dans le cas des jeux vidéo, la perte de notion du temps est induite par le fait d’être immergé dans le jeu plutôt que par un simple visionnage).

Les chercheurs s’attendaient également à trouver un lien entre les distorsions temporelles et les symptômes d’un engagement problématique dans ces comportements. Si cette relation n’a pas été confirmée pour la précision de l’estimation du temps passé lors de l’exposition à des jeux vidéo, à la pornographie ou à des séries télévisées, un lien a par contre pu être mis en évidence pour la perception du temps passant rapidement.

Les points clés à retenir

·       Les hommes ont tendance à sous-estimer la durée d’exposition à des séries télévisées et à de la pornographie, alors que les femmes l’évaluent de manière plus juste.

·       Hommes et femmes semblent percevoir le temps comme s’écoulant plus vite quand ils sont exposés à des séries télévisées et à de la pornographie.

·       Les personnes ayant un comportement excessif semblent estimer la durée des contenus (jeux vidéo, pornographie ou séries télévisées) de la même manière que des personnes n’ayant pas d’utilisation excessive.

Plus d’informations sur cette recherche :

Cervigón-Carrasco V, Ballester-Arnal R, Billieux J, Gil-Juliá B, Giménez-García C, Castro-Calvo J
Distortions in time perception related to videogames, pornography, and TV series exposure: An experimental study in three independent samples.
Journal of Behavioral Addictions. Décembre 2023.
Lien : https://akjournals.com/view/journals/2006/aop/article-10.1556-2006.2023.00067/article-10.1556-2006.2023.00067.xml