Si certaines addictions ne sont aujourd’hui plus vraiment taboues, d’autres, comme l’addiction sexuelle, sont encore peu évoquées en public ou dans les médias, et restent mal perçues. Pourtant, l’addiction sexuelle est bel et bien une pathologie, au même titre que les autres addictions comportementales, et celle-ci peut plonger celui qui en est victime dans une grande solitude, entremêlée de sentiments de culpabilité ou de honte, voire d’états dépressifs qui peuvent parfois conduire à un risque suicidaire.
Qu’est-ce que l’addiction sexuelle ?
Le concept a été popularisé suite à la parution de l’ouvrage « Out of the shadows : understanding sexual addiction » de Patrick Carnes, en 1983. Aujourd’hui, malgré la multiplication d’études sur le sujet, il n’existe pas de définition consensuelle (1). Toutefois, Aviel Goodman a proposé dès 1992 de définir l’addiction sexuelle comme « un trouble dans lequel un comportement sexuel, dont la fonction est à la fois de procurer du plaisir et de soulager un malaise interne, est utilisé dans un modèle caractérisé par (1) l’échec récurrent pour contrôler le comportement sexuel et (2) la poursuite du comportement sexuel en dépit des conséquences négatives importantes ». Si le comportement sexuel est pratiqué au début pour procurer du plaisir, la situation change lorsqu’une addiction s’installe. Petit à petit, le comportement sexuel devient l’unique solution pour soulager les sentiments négatifs (culpabilité, honte, tristesse, faible estime de soi), ce qui alimente le cercle vicieux de l’addiction (le comportement addictif produit des sentiments négatifs, qui ne peuvent être soulagés que par la réalisation du comportement à nouveau). Les pulsions sexuelles sont difficiles à contrôler, malgré les conséquences négatives toujours plus importantes pour la personne et/ou ses proches.
L’addiction sexuelle peut concerner différentes formes de pratiques sexuelles : la masturbation compulsive, le besoin impérieux de séduire, la multiplication des partenaires sexuels, le recours répété à la prostitution, un visionnage excessif de contenus pornographiques, les filtres sexuels (interprétation de chaque situation de la vie quotidienne sous l’angle érotique et sexuel), etc. C’est en général une addiction qui touche principalement les hommes, avec un ratio de 4 hommes pour 1 femme en moyenne, bien que les chiffres concernant les femmes soient peu connus, ces dernières n’osant pas dévoiler qu’elles souffrent de ce trouble de peur d’être stigmatisées. La majorité des patients a entre 25 et 35 ans et a connu l’explosion d’Internet, qui a grandement facilité l‘accès aux contenus pornographiques (accessibles 24h/24 et 7j/7, souvent gratuits, et très diversifiés), et surtout de façon anonyme. Il est possible de faire le point sur une potentielle addiction sexuelle en réalisant un auto-test avec le test de Carnes (25 questions) : https://www.addictaide.fr/parcours/carnes/
Les conséquences sur la vie quotidienne
Pour les personnes souffrant d’addiction sexuelle et étant en couple, l’une des premières conséquences perceptibles du trouble est l’impact sur les relations de couple, mises à mal par le comportement sexuel excessif et parfois jugé « déviant » par le/la conjoint(e). Le ressenti de trahison par le/la conjoint(e), en cas d’adultère notamment, couplé à l’incapacité de la personne à stopper son comportement sexuel excessif, peuvent conduire à une séparation, avec des impacts négatifs au niveau émotionnel, psychique et financier. Par ailleurs, les pensées de la personne souffrant d’addiction sexuelle vont être envahies constamment par ses envies sexuelles, qui vont prendre toute la place et contraindre la personne à mettre d’autres pans de sa vie de côté, ce qui peut fragiliser encore davantage des relations de couples déjà durement impactées, ou impacter la sphère professionnelle (absentéisme, manque de productivité, etc.) ou amicale (isolement, arrêt des sorties, etc.). De plus, la recherche permanente de stimulations sexuelles peut aussi amener à une prise de risque (rapports non protégés, pratique du « chemsex » (2), etc.) qui peut impacter la santé physique (infections sexuellement transmissibles notamment (3)) ou la situation financière (endettement suite au recours répété à des prostituées par exemple). Enfin, d’autres conduites addictives (troubles de l’usage d’alcool ou d’autres substances notamment) ou d’autres troubles mentaux (troubles dépressifs ou anxieux surtout) peuvent également se surajouter et accentuer le mal-être ressenti.
Ainsi, comme toute addiction, l’addiction sexuelle induit des conséquences négatives très importantes dans tous les domaines de la vie, pour la personne qui en souffre mais aussi pour ses proches. Ces conséquences négatives sont renforcées par le tabou qui entoure cette addiction en particulier ce qui contribue à l’isolement de la personne. L’ensemble de ces conséquences négatives peuvent parfois pousser à envisager le suicide.
Le risque suicidaire
En France, on estime à près de 200 000 le nombre de tentatives de suicide par an, avec environ 20 tentatives de suicide pour un décès. Le risque suicidaire est majoré pour les personnes ayant déjà fait une tentative de suicide (75 % de récidives dans les 6 mois) et concerne davantage les hommes que les femmes. La « crise suicidaire » est un état de trouble psychique aigu, caractérisé par la présence d’idées noires. Lors de cette crise, la personne est confrontée à de grandes souffrances et ne trouve pas en elle-même les ressources suffisantes pour les surmonter, se sentant dans une impasse telle que la mort lui apparaît comme la seule solution à sa souffrance. Il s’agit d’une véritable urgence psychiatrique. Les addictions, dont l’addiction sexuelle, représentent des facteurs de risque de suicide.
Une équipe de chercheurs nantais a souhaité évaluer la fréquence du risque suicidaire dans une cohorte (4) de patients consultant pour une addiction sexuelle. Parmi les patients inclus, 40 % avaient déjà fait des tentatives de suicide, fréquence 10 fois plus importante que celle retrouvée en population générale en France (4 %) (5). Cette fréquence semble aussi plus importante que dans d’autres addictions comportementales, ce qui peut s’expliquer par le poids du tabou, de la honte et de l’isolement propres à cette addiction, et qui peuvent être un véritable déclencheur de pensées suicidaires.
La prise en charge thérapeutique
La priorité est d’estimer l’urgence de la situation. Si le risque suicidaire est avéré, un médecin devra évaluer l’urgence de la menace et la dangerosité du scénario suicidaire. Une hospitalisation pourra être proposée si nécessaire.
Quand il n’y a pas de risque suicidaire avéré, il est tout de même primordial d’être suivi par une équipe pluridisciplinaire spécialisée qui pourra prendre en charge votre addiction sexuelle (6). Une psychothérapie pourra être mise en place pour travailler sur l’analyse de sa pratique et repérer les situations à risque, et des comportements alternatifs sont en général encouragés (évitement, relaxation…). En complément, il est aussi possible de participer à des groupes d’entraide, comme ceux dédiés spécifiquement à l’addiction sexuelle organisés par l’association DASA (7). Enfin, le patient pourra également choisir de consulter un sexologue et/ou d’entamer une thérapie de couple, pour que le-la conjoint-e soit aussi pris en charge et que la personne dépendante se sente soutenue, le manque de soutien pouvant augmenter le risque suicidaire.
Comment réagir ?
Si vous sentez que votre vie ou celle d’un proche est menacée, vous pouvez appeler le 112 ou la cellule d’urgences médico-psychologiques de votre ville. Il existe également un numéro d’appel, le 3114, qui permet la prise en charge des personnes ayant des idées suicidaires et de leur entourage, depuis les premières idées de mort jusqu’à la crise suicidaire. Il est important de pouvoir reconnaître les signes du risque suicidaire et de savoir comment aider votre proche dans un tel cas (https://www.ameli.fr/loire-atlantique/assure/sante/urgence/pathologies/crise-suicidaire-tentative-suicide ), et comment le repérer selon l’âge de l’individu (https://www.has-sante.fr/jcms/c_271964/fr/la-crise-suicidaire-reconnaitre-et-prendre-en-charge). Il est également possible de se former en secourisme en santé mentale https://www.pssmfrance.fr/etre-secouriste/.
- https://ifac-addictions.chu-nantes.fr/actualite-ifac/les-comportements-sexuels-problematiques-doivent-ils-etre-consideres-comme-relevant-de-laddiction
- Prise de substances chimiques pendant et pour les relations sexuelles.
- Sida Info Service 0 800 840 800 (gratuit, 7j/7, de 8h à 23h ; que vous soyez séronégatif-ve, séropositif-ve, malade ou proche d’une personne touchée, que vous n’ayez pas fait le test de dépistage ou que vous soyez en attente de résultats).
- Cohorte (une cohorte consiste à suivre dans le temps un groupe de personnes ayant la même pathologie) Evaladd, près de 200 patients suivis entre 2013 et 2022.
- Source : Observatoire National du Suicide, 2022.
- Annuaire Centre de soins : https://ifac-addictions.chu-nantes.fr/annuaire-des-centres-de-soins-1
- Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes France (https://dasafrance.fr/reunions-liens/), réunions en présentiel et en visio.
Pour en savoir plus :
- Livre « Sexe sans contrôle, surmonter l’addiction », Dr François-Xavier Poudat, Marthylle Lagadec.
- Le numéro national de prévention du suicide : 3114 (gratuit, 7j/7 et 24h/24 ; https://3114.fr/ (site de conseils et de ressources pour les personnes en souffrance et leurs proches)
- Le dispositif de recontact VigilanS (https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/sante-mentale/la-prevention-du-suicide/article/le-dispositif-de-recontact-vigilans (dispositif dont le but est de faire baisser le nombre de récidives de tentatives de suicide ; toute personne hospitalisée pour une tentative de suicide se voit proposer son inclusion dans le dispositif, avec la remise d’une carte avec les contacts de soignants disponibles en cas de besoin, tandis que le médecin traitant est prévenu que le patient entre dans le dispositif)
Retrouvez le guide pratique «Le risque suicidaire chez les patients ayant une addiction au sexe» sur le site de l’Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC) du CHU de Nantes.