Les comportements sexuels problématiques doivent-ils être considérés comme relevant de l’addiction ?

Une synthèse scientifique réalisée par l’Institut fédératif des addictions comportementales (IFAC)

Autres addictions comportementales

Avec actuellement une prévalence de ces troubles à hauteur de 3 à 6 % dans la population générale, et étant 3 à 5 fois plus fréquente chez les hommes que les femmes, une équipe de chercheurs français a publié une revue de littérature d’études effectuées sur les comportements sexuels problématiques afin d’établir si les critères définissant habituellement les troubles liés à l’usage de substances peuvent s’appliquer à ces comportements et ainsi les définir comme relevant de l’addiction.

Une analyse basée sur les critères définissant les troubles liés à l’usage de substances du DSM-5

Pourquoi avoir fait cette recherche ?

Les comportements sexuels problématiques, aussi connus sous les noms de « trouble de l’hypersexualité », ou de « trouble du comportement sexuel compulsif » (dans la CIM-11), sont caractérisés par des préoccupations répétitives et intenses liées à des fantasmes, des pulsions et des comportements sexuels qui ont des conséquences négatives pour l’individu.  La définition du « trouble hypersexuel » proposé par Martin Kafka en 2010 dans la section « Troubles sexuels » du DSM-5 proposait des critères similaires à ceux de la CIM-11, sauf pour la partie sur la régulation de l’anxiété. Étant donné la similarité des critères diagnostiques entre ces troubles et les troubles liés à l’usage de substances ou les addictions comportementales, certains auteurs en sont venus à dire que ces comportements sexuels problématiques pourraient être considérés comme une addiction comportementale, au même titre que l’addiction aux jeux de hasard et d’argent par exemple. Les similarités cliniques sont : la compulsivité sexuelle, le sentiment de perte de contrôle, la poursuite du comportement malgré des conséquences négatives, le craving, l’anxiété précédent la réalisation du comportement. Le débat se situe donc sur la définition de ces troubles : est-ce un trouble du contrôle des impulsions, un trouble obsessionnel-compulsif ou une addiction ?

Quel est le but de cette recherche ?

Le fait de classifier les comportements sexuels problématiques comme une addiction faisant encore débat aujourd’hui dans la communauté scientifique, l’objectif de cette analyse est de voir s’il est possible d’utiliser les mêmes critères utilisés dans le DMS-5 pour les troubles de l’usage des substances et les addictions comportementales. Cette revue de littérature vise à fournir une vision d’ensemble des similarités des critères du DSM-5 utilisés dans le diagnostic d’une addiction : perte de contrôle, poursuite d’un comportement malgré ses conséquences négatives, temps important consacré au comportement, efforts infructueux pour diminuer ou arrêter, craving, dépendance physique, sevrage et tolérance et les critères que l’on peut retrouver dans les comportements sexuels problématiques.

Comment les chercheurs ont-ils fait pour répondre à cet objectif ?

Les auteurs ont d’abord fait une recherche dans des bases de données avec des mots-clés afin de retrouver toutes les études effectuées jusqu’en avril 2022 sur les comportements sexuels problématiques. Après une phase de sélection, 20 études ont été retenues dans l’analyse. Les études sélectionnées représentent au total 24 378 personnes. Parmi les personnes ayant ces troubles, 89% sont des hommes, l’âge moyen est de 28 ans, 75 % d’entre eux se déclarent hétérosexuels, et 51% ont recours au cybersexe.

Quels sont les principaux résultats à retenir ?

  • Craving

Les envies irrépressibles concernant les activités sexuelles multiples ou le visionnage de pornographie concerneraient 41 % des hommes et 45 % des femmes parmi les usagers ayant une activité sexuelle problématique, tout en sachant que le craving a été identifié comme un symptôme-clé dans les troubles liés à l’usage de substances et participe du risque de rechute.

  • Perte de contrôle

Le pourcentage de participants rapportant leurs échecs successifs à diminuer ou arrêter leur comportement varie entre 22 % et 84 %.

  • Conséquences négatives

La fréquence de la poursuite du comportement sexuel malgré les problèmes que cela entraîne dans leurs vies concernerait 79 % d’hommes et 77 % de femmes. Ces personnes voient par ailleurs davantage leurs vies affectées par ces troubles que d’autres patients ayant des troubles psychiatriques ou des troubles liés à l’usage de substances, et notamment leur vie familiale. D’autre part, 47 % d’entre eux ont abandonnés leurs activités ou ont des activités limitées et n’arrivent plus à remplir leurs obligations.

  • Sevrage

Les symptômes de sevrage, définis comme par exemple le fait d’être anxieux ou irritable en cas d’impossibilité de s’engager dans le comportement concernent 61 % des hommes et 66 % des femmes de ces études.

  • Tolérance

La diminution des effets produits par un même comportement et le besoin d’intensifier la pratique pour obtenir un même niveau de satisfaction antérieur concerne 45 % des hommes et 49 % des femmes dans ces études.

Les limites de ces études et les points d’amélioration à mettre en place selon les auteurs

Les auteurs regrettent le niveau de qualité de la plupart des études incluses. Beaucoup de ces études sont des études observationnelles, avec beaucoup d’auto-questionnaires remplis par les patients, ce qui limite la généralisation des données. D’autre part, ces études ne comportent pas assez de minorités sexuelles ou de groupes ethniques différents.

Cette revue de littérature  permet cependant de mettre à jour la nécessité de faire davantage de recherches concernant l’efficacité possible des traitements anti-craving afin de réduire l’intensité des troubles (par exemple grâce aux antagonistes des récepteurs opioïdes).

Les points clés à retenir

·       Les critères de troubles addictifs du DSM-5 ont été retrouvés dans une large proportion de personnes ayant des comportements sexuels problématiques, et en particulier en ce qui concerne le « craving », la perte de contrôle et les conséquences négatives liées au comportement sexuel.

·       Cette analyse révèle l’importance pour les soignants de déceler les marqueurs cliniques de l’addiction plutôt que de simplement rechercher la fréquence des comportements sexuels lors de la pose du diagnostic, ceci afin d’améliorer la prise en charge des patients et ainsi pouvoir limiter les impacts négatifs dans leur vie quotidienne.

 

 

Plus d’informations sur cette recherche :

Natacha Pistre, Benoît Schreck, Marie Grall-Bronnec, Melina Fatseas

Should problematic sexual behaviour be viewed under the scope of addiction? A systematic review based on DSM-5 substance use disorder criteria; Addictive Behavior Reports, December 2023

Lien : https://doi.org/10.1016/j.abrep.2023.100510