Les personnes détenues sont particulièrement concernées par la consommation de substances opiacées (héroïne, morphine, etc.). En conséquence, le recours aux traitements agonistes opioïdes (TAO) dans cette population est fréquent. En prison, les TAO sont prescrits et surveillés par les médecins généralistes et les psychiatres qui interviennent dans les établissements pénitentiaires.
Comment les médecins prescrivent-ils ces traitements en détention ? Sont-ils suffisamment formés ? Les personnes consommatrices d’opiacés sont-elles soignées de la même manière en détention et à l’extérieur ? Ces traitements ont-ils un intérêt pendant et après la détention ?
Les traitements agonistes opioïdes diminuent le risque de décès à la sortie de prison
En milieu libre, les TAO sont souvent initiés par les services d’addictologie (CSAPA, centre méthadone, services hospitaliers) et les médecins généralistes libéraux. En prison, les soins médicaux sont assurés par les soignant.es (médecins, infirmier.es, travailleur.euses sociaux.ales) des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) qui demeurent indépendant.es de l’administration pénitentiaire. Ces dispositifs doivent permettre de garantir aux personnes détenues de bénéficier de soins de santé équivalents à la population générale.
En 2012, les CSAPA référents ont été créés afin d’optimiser les prises en charge addictologiques en milieu pénitentiaire en France. En effet, même si 7 % des personnes détenues reçoivent un traitement par buprénorphine ou méthadone, l’accès aux TAO en milieu pénitentiaire n’est pas toujours possible en raison, notamment, d’une stigmatisation, d’inquiétudes en lien avec un mauvais usage de ces traitements, d’un manque de personnel soignant et de locaux adaptés. Pourtant, les études ont montré que lorsque les personnes qui ont un trouble lié à l’usage d’opiacé reçoivent ces traitements, elles ont tendance à consommer moins d’opiacés et à moins recourir à l’injection intra-veineuse. Elles ont aussi plus souvent un suivi médical et un emploi. De plus, la prescription des TAO pendant l’incarcération des personnes présentant un trouble lié à l’usage d’opiacés est associée à une réduction de 80 % du risque de décès par overdose dans le mois suivant la libération.
L’enquête dans les Hauts-de-France
Afin d’explorer le maniement des TAO en détention, nous avons mené une enquête auprès des professionnel.les du milieu carcéral et des services d’addictologie exerçant dans les Hauts de France entre 2019 et 2020. Au total, 38 médecins exerçant en USMP et 23 médecins exerçant en CSAPA ambulatoire ont participé à cette étude.
Les réponses indiquent que les médecins exerçant en milieu carcéral sont peu formés à l’addictologie. Ils sont peu nombreux à avoir suivi une formation spécifique contrairement aux praticiens exerçant en addictologie en milieu ouvert. Les résultats montrent également que les pratiques relatives au maniement des TAO à l’entrée en incarcération sont très hétérogènes, que ce soit en ce qui concerne l’arrêt ou le renouvellement de ce traitement, voire même les posologies utilisées (avec fréquemment un risque de sous-dosage pouvant augmenter le risque de rechute chez les patient.es).
Enfin, outre les pratiques en milieu pénitentiaire, c’est surtout l’articulation entre prison et milieu ouvert qui s’avère particulièrement précaire d’après les résultats de notre enquête. Les contacts entre soignant.es étaient notamment décrits comme peu fréquents à l’arrivée et pendant la détention, mettant clairement en évidence une problématique de continuité des soins et un risque évident de rupture des prises en charge à l’entrée en prison mais également à la sortie.
Une meilleure articulation entre professionnel.les de santé est donc indispensable pour optimiser la prise en charge des personnes présentant un trouble de l’usage des opiacés qui sont fréquemment confrontées à des incarcérations multiples.
Claire Joubert1 & Thomas Fovet2
1 – Centre Support Nord de Remédiation cognitive et de Réhabilitation Psychosociale des Hauts de France 59000 Lille, France
2 – Université de Lille, Inserm, CHU Lille, U1172 – Lille Neuroscience & Cognition, F-59000 Lille, France
Lien vers l’article original : Revue Alcoologie et Addictologie