La Suisse possède un panel de médicaments de substitution aux opioïdes (MSO) bien plus large qu’en France. Outre la buprénorphine et méthadone que nous avons également, elle dispose également depuis 2013 d’une spécialité de morphine orale (Sevre-Long®) indiquée comme MSO ainsi qu’un programme d’héroïne médicalisée accessible depuis 1994.
Les quantités de MSO autorisées à emporter au domicile sont de 7 ou 14 jours (2 jours pour l’héroïne par voie orale) et dépendent du canton.
En France, aucune forme injectable à libération immédiate n’existe. L’usage de la morphine comme MSO est hors AMM (autorisation de mise sur le marché) et la prise en charge par l’assurance maladie reste médecin conseil dépendant donc très aléatoire. On se retrouve donc avec une forme orale à libération prolongée, seule forme disponible en ambulatoire, fréquemment détournée par voie injectable. Néanmoins, l’agence du médicament a lancé une réflexion sur l’usage de la morphine avec la création d’un CST (comité scientifique temporaire) dont l’objectif est notamment de proposer les modalités cliniques et les conditions de prescription et de délivrance permettant de sécuriser cette utilisation. Leurs conclusions sont attendues pour la fin de l’année 2022.
Sous la contrainte de la COVID, les Suisses ont dû assouplir leur cadre réglementaire d’accès à l’héroïne médicalisée en y autorisant des prises orale à domicile. Ce retour est intéressant car il apporte un certain confort aux patients. Confort que certains de nos patients ont pu expérimenter lors de l’urgence sanitaire avec des dispensations de méthadone en sirop possibles jusqu’à 28 jours.
Introduction :
Les auteurs rappellent que nombreux sont les patients sous MSO qui continuent à consommer de l’héroïne pour l’effet « high » que ne procure pas la buprénorphine ou la méthadone. C’est sur ce constat, qu’ils ont ouvert les premiers centres d’héroïne médicalisée en 1994.
Deux formes sont disponibles, la forme injectable et la forme orale. La forme injectable étant plus rapide à agir que l’orale. En revanche, la pharmacocinétique de l’héroïne orale ne semble pas vraiment différente de la morphine orale.
L’accès au programme d’héroïne n’est pas ouvert à tous et nécessite une autorisation fédérale des autorités de santé. Pour l’obtenir, il faut être majeur, avec un trouble d’usage des opioïdes sévère depuis plus de 2 ans et être en échecs des MSO « plus conventionnels ». L’accès au centre est nécessaire pour la supervision. Les décès par overdose sont très rares et ils ont décru significativement sur les deux dernières décennies.
La COVID : Suite à la pandémie de 2020, de nombreux pays ont assouplis leurs réglementations pour faciliter les prises à domicile de MSO. La Suisse a fait de même en recommandant des prises non supervisée à domicile pour tous les patients « suffisamment stabilisés ».
Retour d’expérience : Les auteurs présentent leurs résultats issus d’un centre situé à Bâle. Ils avaient, au début de l’épidémie, 149 patients dans le programme héroïne médicalisée. Suite aux règles de confinement, l’accès au centre était limité à 1 fois par jour et ils ont donc proposé des prises orales non supervisées jusqu’à 7 jours pour les patients les plus « stables ». Les posologies d’héroïne étaient comprises entre 200 et 400 mg et les patients ne pouvaient repartir avec plus de 4 grammes.
60 patients ont pu bénéficier de ces prises non supervisées car jugés suffisamment stables.
- 52 étaient satisfaits sans aucun évènement négatif rapporté (hospitalisation, décompensation, overdose).
- 8 étaient insatisfaits :
- 6 car le passage injectable à orale ne produisait pas le « high » désiré et certains s’étaient orientés vers la consommation illicite ou le mésusage de la forme orale
- 2 étaient en phase d’initiation (posologies non stabilisées) et ont eu du mal à s’équilibrer, nécessitant des passages plus fréquents et des adaptations posologiques fréquentes annulant de ce fait le bénéfice de l’emport à domicile.
Les 52 patients satisfaits, rapportent une amélioration de la qualité de vie liée aux moindres passages au centre.
3 patients ont été sortis du dispositif héroïne à la maison pour des comportements douteux (perte de traitement, tentative d’en obtenir plus…).
Cet assouplissement du dispositif a entrainé une arrivée de 15 nouveaux patients sur la période. Tous venaient attirés par les conditions plus souples.
Au 1er janvier 2022, la Suisse a supprimé cette possibilité considérant, avec les vaccins contre la COVID, qu’il n’y avait plus d’urgence sanitaire.
Dans la pratique, le retour au régime de traitement pré-pandémique a représenté un défi pour les professionnels car pas toujours accepté par les patients, tandis que certains étaient soulagés de pouvoir revenir à deux injections quotidiennes d’héroïne médicalisée.
En conclusion, les mesures prises en Suisse pour faciliter l’accès à l’héroïne médicalisée pendant la pandémie COVID semblent avoir été bénéfiques pour une majorité de patient. Le retour d’expérience montre l’importance du fardeau des nombreuses venues au centre et le fait de les alléger permet, pour les patients jugés les plus stables, d’améliorer la qualité de vie. La moindre contrainte permet aussi d’attirer certains patients dans les soins.
Perspectives. En France, nous avons expérimenté la méthadone sirop pendant 28 jours. Notre expérience ressemble à celle des suisses, à savoir une amélioration de la qualité de vie de nos patients (« les plus stables ») qui ont pu réduire leurs venues au centre. Le retour en arrière a été subi et parfois mal vécu. Tous les jours de cette 5ème vague COVID, nos patients nous interpellent en nous réclamant ce retour possible à 28 jours !
Pour alléger le fardeau des patients et réduire la charge pour les professionnels, ne pourrait-on pas autoriser définitivement jusqu’à 28 jours pour la forme sirop également ?
Enfin, concernant la mise à disposition ou non de la morphine comme MSO en France, nous attendons les conclusions du CST.