Une équipe de chercheurs chinois et américains a fait une synthèse des résultats des études sur le traitement de l’usage pathologique des jeux vidéo sur Internet publiées au cours des dix dernières années, et mis en avant les stratégies à mettre en place dans les futures recherches.
Cette synthèse présente les principaux résultats à retenir.
Pourquoi avoir fait cette recherche ?
Bien que l’usage pathologique des jeux vidéo sur Internet (« Internet Gaming Disorder », IGD) soit un trouble mental désormais reconnu depuis plusieurs années, l’étude de ses potentiels traitements n’en est qu’à ses débuts. Déjà en 2013, alors qu’il était inclus pour la première fois dans une classification internationale des troubles mentaux (DSM-5), l’IGD était décrit comme un trouble nécessitant davantage de recherches. L’IGD a reçu une attention considérable de la part des chercheurs et du grand public depuis 2013, et de nombreuses études ont été menées, visant à tester des approches thérapeutiques diversifiées (comportementales, pharmacologiques et neuromodulatrices). Un résumé des résultats obtenus à ce jour et des besoins en matière de recherche pour le futur était ainsi nécessaire.
Quel est le but de cette recherche ?
Cette revue de littérature (c’est-à-dire la compilation et la synthèse des résultats des études scientifiques sur un sujet donné) visait à faire un résumé des avancées concernant les traitements possibles de l’IGD, en se focalisant sur les essais cliniques randomisés contrôlés (essais présentant la plus forte valeur scientifique), ainsi que les efforts sur lesquels devront se pencher les futures recherches.
Comment les chercheurs ont-ils fait pour répondre à cet objectif ?
Les articles présentant les résultats d’essais cliniques randomisés contrôlés visant à tester des traitements de l’IGD, et publiés de 2013 à 2023, ont été identifiés par une combinaison de mots-clés relatifs à ce trouble et au traitement. Une sélection a ensuite été faite selon plusieurs critères (objectif visant à évaluer l’efficacité d’un traitement, présence d’un groupe contrôle, etc.). Sur les 657 études identifiées initialement par la combinaison des mots-clés, 16 seulement ont été finalement retenues pour être intégrées à la synthèse.
Quels sont les principaux résultats à retenir ?
- Les traitements médicamenteux
Il n’existe pas de médicaments avec une indication propre à l’IGD à l’heure actuelle. Deux études ont cependant comparé l’efficacité de deux médicaments proposés dans d’autres indications : le bupropion (utilisé pour l’aide au sevrage tabagique) et l’escitalopram (utilisé en général dans le cadre de dépressions et de troubles anxieux). Si ces deux médicaments semblaient améliorer les symptômes et la sévérité du trouble, les échantillons de ces deux études étaient trop réduits et la durée du suivi trop courte pour en tirer des conclusions définitives. Dans le futur, il sera important d’une part de mesurer le ratio bénéfice-risque (en lien notamment avec les effets secondaires de ces traitements et la présence éventuelle d’autres troubles mentaux chez les patients) et d’autre part de réaliser des études sur les effets de ces médicaments aussi sur le long terme.
- Les approches thérapeutiques basées sur les thérapies comportementales et cognitives (TCC)
Les TCC ont déjà fait leurs preuves dans le traitement de nombreux troubles addictifs, et leur intérêt est notamment d’avoir un effet durable dans le temps, les patients ayant pu acquérir des compétences dans la gestion de leur trouble. Dans le cadre de l’IGD, les TCC ont été testées dans 6 études, montrant pour la plupart de bons résultats. Ce type de thérapie aiderait à modifier les fausses croyances à l’œuvre dans les comportements de jeu excessifs et à faire face aux états émotionnels difficiles après une réduction de la pratique ou un arrêt total. Dans ces deux domaines, les TCC semblent supérieures aux autres approches. Les TCC aideraient également à la gestion du « craving » (envie irrépressible de jouer), pour ces patients qui, poussés à acquérir une satisfaction immédiate plutôt que des récompenses sur le long terme, ont du mal à contrôler leur pratique. Des recherches complémentaires sont nécessaires pour inclure la mesure de la motivation et de la compliance des patients aux TCC, qui représentent deux biais majeurs pour juger de leur efficacité. Par ailleurs, il sera intéressant dans le futur de tester l’efficacité de programmes de TCC incluant des modules spécifiques à l’IGD, ceux actuellement testés restant très généralistes, et de standardiser les programmes pour permettent leur reproductibilité et l’harmonisation des pratiques.
- Les stimulations cérébrales non invasives
Les stimulations cérébrales non invasives sont des méthodes de stimulation du cerveau par des courants électriques de faible intensité, qui ciblent des zones spécifiques du cerveau, de façon indolore et non invasive (c’est-à-dire sans passage à travers la peau, induisant moins de complications ou de risques pour le patient). Dans l’IGD, des différences de fonctionnement neuronal ont pu être mis en évidence, et une technique en particulier (tDCS) a été testée dans 2 études dans le but d’aider à diminuer le craving et à mieux réguler les états émotionnels. Si les résultats semblent prometteurs, les auteurs de la revue recommandaient pour le futur de mener des études pour identifier les lieux de stimulation et les paramètres les plus efficaces, ceux-ci restant peu uniformes entre les études jusqu’à présent. Par ailleurs, une piste intéressante serait de coupler ce type de prise en charge avec des prises en charge de type TCC ou autre, afin d’intégrer un travail sur des domaines liés à l’IGD non ciblés par les techniques de stimulation, comme les attitudes et motivations à l’égard des jeux vidéo.
- Autres approches
D’autres approches ont été testées dans certaines études comme les groupes d’écriture, les thérapies familiales ou la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, qui semblent toutes efficaces pour réduire le craving et les symptômes. En particulier, la thérapie familiale multidimensionnelle (approche familiale centrée sur l’adolescent et la communication intrafamiliale) semble très prometteuse, étant donné la prévalence de sujets jeunes dans l’IGD, et l’importance de l’aide de la famille et des relations harmonieuses au sein de la famille pour limiter la sévérité du trouble.
Les limites de ces études et les points d’amélioration à mettre en place selon les auteurs
Dix des seize études retenues ont été faites en Asie, là où la prévalence de l’IGD est plus importante que dans les pays occidentaux, et où les aspects négatifs des jeux vidéo sont les plus mis en avant. Il sera nécessaire dans le futur de proposer des études sur le traitement de l’IGD dans des pays non asiatiques également, afin de pouvoir généraliser les résultats obtenus.
Ensuite, les raisons qui poussent à jouer ne sont pas les mêmes selon les tranches d’âge (chez les enfants : problèmes familiaux ou de harcèlement, hyperactivité ou déficit d’attention par exemple ; chez les adultes : problèmes interpersonnels, solitude, dépression), ni selon le genre (chez les hommes : renforcement des émotions positives ; chez les femmes : régulation des émotions négatives). Les traitements devraient donc être adaptés à chaque profil, tenant compte de l’âge et du genre de l’individu.
Enfin, la plupart des études sur le traitement de l’IGD ont testé des stratégies de traitement existant pour d’autres troubles mentaux, surtout dans le cadre d’études pilotes. Dans le futur, il sera nécessaire d’envisager des approches thérapeutiques plus spécifiques à l’IGD, qui devront être testées dans des essais cliniques rigoureux.
Les points clés à retenir
· Certains médicaments et les techniques de stimulation cérébrale non-invasive semblent être des pistes de traitement prometteuses, mais nécessitent des recherches complémentaires · Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) représentent à ce jour les thérapies ayant fait le plus leurs preuves, mais il sera nécessaire dans le futur d’inclure des modules plus spécifiques aux problématiques de l’utilisation pathologique des jeux vidéo en ligne · Les études devraient prendre en compte les différences de profils des patients, notamment selon leur âge et leur genre |
Plus d’informations sur cette recherche :
Guang-Heng Dong, Junhong Dai, Marc Potenza
Ten years of research on the treatments of internet gaming disorder: A scoping review and directions for future research; Journal of Behavioral Addictions. 5 janvier 2024
Lien : https://doi.org/10.1556/2006.2023.00071
Retrouvez la synthèse de l’article du mois « Dix ans de recherche sur les traitements de l’usage pathologique des jeux vidéo sur Internet » sur le site de l’Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC) du CHU de Nantes.