« Dès le plus jeune âge, ton cerveau est formaté. C’est de la chimie, tu es conditionné à cette excitation. » C’est peu dire que Pierre, un commercial breton, regrette ses premiers tickets grattés à l’âge de « 7 ou 8 ans, offerts par des proches ». Le parcours de cet homme de 29 ans illustre les risques des jeux d’argent chez les mineurs, alors que les pratiques à risque explosent, selon l’enquête Enjeu-Mineurs menée par la Sedap, association de lutte contre les addictions, avec l’appui de l’Autorité nationale des jeux (ANJ), dont nous dévoilons les résultats en exclusivité. « Plus vous commencez jeune, plus vous avez de risques de tomber dans l’addiction et qu’elle dure », résume Thomas Gaon, psychologue à l’hôpital parisien Marmottan.
Sur un échantillon de 5 000 personnes, 34,8 % des personnes âgées de 15 à 17 ans ont joué au moins une fois à un jeu d’argent au cours des douze mois écoulés, contre 32,9 % en 2014. Une stabilité qui masque un changement des usages important dans le comportement de ce public fragile, à qui la vente de jeux d’argent est interdite, dans les points de vente comme en ligne.
Un constat préoccupant
« On constate que certaines pratiques sont en augmentation chez les mineurs, sur le jeu en ligne et l’offre illégale, relève Morgane Austruy, coordinatrice de la prévention du jeu excessif ou pathologique et de la protection des mineurs à l’ANJ. Ce qui est préoccupant, c’est que la part des joueurs problématiques a augmenté chez les mineurs et qu’elle est plus importante que chez les adultes. »
Chez les 15 à 17 ans, l’enquête estime à 4,5 % le nombre de joueurs à risque modéré et à 7,6 % celui de joueurs excessifs. Sachant que la France compte 2,5 millions de garçons et filles de cette classe d’âge, ce sont un peu plus de 300 000 adolescents qui font face à un jeu considéré comme problématique.
Si l’on réduit le champ au sérail des joueurs déclarés, 11 % des joueurs étaient flashés dans les zones à risques en 2014, alors que 34,8 % sont aujourd’hui à risque modéré (12,9 %) ou excessif (21,9 %). Un niveau six fois plus élevé que celui relevé au sein de la population adulte (6 % pour le cumul de ces deux catégories, selon la dernière étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)). L’évaluation repose sur l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE), qui attribue un score en fonction des pratiques et de leur récurrence (jouer pour se refaire après avoir perdu de l’argent, miser plus qu’on ne peut perdre, etc.).
« L’accessibilité et le type d’offre sont identifiés comme des éléments importants de la hausse du jeu problématique, estime Morgane Austruy. La publicité pour les jeux d’argent est en nette augmentation sur les médias traditionnels, mais surtout sur le digital. Le recours à des influenceurs est de plus en plus important et les réseaux sociaux facilitent l’exposition des mineurs. »
« Une pratique devenue commune, banale et valorisée »
Si les jeux de grattage (78 %) et de tirage (48 %) sont toujours en tête, les paris en ligne et les paris sur l’e-sport, jugés plus propices aux addictions, sont pratiqués par 28 % et 21 % des joueurs.