La trajectoire des patients qui prennent des opioïdes antalgiques au long cours

Une étude australienne tout juste parue dans Addiction.

Médicaments

Image par Gordon Johnson de Pixabay

Depuis les années 90, on assiste aux États-Unis à une flambée des overdoses dues aux opioïdes : morphine, héroïne, fentanyl… Depuis 2000, le nombre de décès causés par les opiacés aurait quasiment quadruplé. En 2017, 72 000 américains ont perdu la vie suite à une overdose, dont 50 000 dues aux opioïdes.

Cette « crise des opioïdes », comme on l’appelle, est un phénomène complexe qui ne peut pas être expliqué par un seul facteur. Néanmoins, un des éléments précipitants souvent rapporté est la nette augmentation de la prescription d’opioïdes utilisés contre la douleur par les médecins à partir des années 90. Certains laboratoires ont d’ailleurs été accusés des années plus tard d’avoir incité les médecins à prescrire ces médicaments plus que de raison, avec des campagnes publicitaires trompeuses voire mensongères vantant un moindre effet de dépendance de leurs produits par rapport aux médicaments existants, telle que la morphine. L’affaire a fait grand bruit dans les médias, notamment parce que le laboratoire Purdue Pharma, commercialisant l’Oxycontin (dérivé de l’oxycodone, un morphinique) attaqué en justice par des milliers de patients, plusieurs villes et états, a dû verser en 2017 une amende record de plusieurs dizaines de millions de dollars – du jamais vu pour l’industrie pharmaceutique – afin d’éviter un procès.

Vers les années 2010, l’usage d’héroïne s’est intensifié aux États-Unis majorant encore le nombre de décès par overdose. La situation a ensuite empiré quelques années plus tard, suite à l’émergence d’opioïdes de synthèse beaucoup plus puissants que la morphine ou l’héroïne, tel que le Fentanyl.

Si les craintes que cette « épidémie » se propage au niveau mondial avec la même intensité se sont vues globalement infirmées pour le moment, ce phénomène et son évolution inquiètent toujours. Cette crise est ainsi scrutée de très près par les autres pays, qui analysent attentivement l’évolution de la consommation d’opiacés dans leur propre population.

Dans cet article, les chercheurs ont voulu connaitre le taux des patients qui augmentent les doses prescrites d’opioïdes, et les populations plus à risque de le faire. Pour cela, ils ont utilisé les données de santé d’une base nationale australienne qui permet d’avoir accès aux prescriptions d’un grand nombre de patients. Ils ont sélectionné ceux chez lesquels on avait initié une prescription d’antalgiques opioïdes entre 2013 et 2018. Ils ont ensuite classé ces patients dans trois groupes différents, en fonction d’une prescription de doses faibles, ou de doses moyennes de ces médicaments durant le premier mois. Le troisième groupe était constitué des patients avec des premières prescriptions d’opioïdes dits faibles, c’est-à-dire ayant une action antalgique moins puissante comme la codéine ou le tramadol, par opposition aux antalgiques plus puissants dits forts comme la morphine ou l’oxycodone.

A partir des prescriptions, les chercheurs ont aussi récupéré d’autres informations, tels que l’âge, le sexe, les autres médicaments pris, ou les éventuelles maladies des participants à cette étude.

Les résultats montrent qu’environ 1% des patients qui ont en début de traitement des doses faibles ou moyennes d’antalgiques opioïdes augmentent significativement les dosages. En douze mois, 7% des patients à qui l’on a prescrit des opioïdes faibles finissent par passer aux opioïdes forts.

Ces chiffres peuvent sembler bas. Cependant rapportés à l’ensemble de la population australienne les auteurs calculent que cela concernerait 26 600 patients sur les 2 millions chez lesquels une prescription d’antalgiques opioïdes est initiée.

Les hommes, les personnes âgées de plus de 75 ans, et les patients ayant suivi un traitement contre le cancer, étaient quant-à-eux plus à risque de passer rapidement à des doses fortes d’opioïdes.

Le cas des personnes âgées est particulièrement problématique puisqu’on sait que c’est une population plus sujette aux effets indésirables iatrogènes. Il a ainsi été montré dans d’autres études que chez les personnes âgées, les opioïdes peuvent être source de confusion, de malaises et de chutes.

Les programmes d’éducation thérapeutique à propos des antalgiques opioïdes semblent ainsi avoir toute leur place dans la prise en charge de la douleur, en particulier pour ces populations plus à risque d’escalade thérapeutique.

Un article de Julia de Ternay