L’anorexie mentale est un trouble des conduites alimentaire touchant environ 0,6% de la population générale, et qui associe notamment une restriction des apports énergétiques par rapport aux besoins, une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros(se) alors que le poids est inférieur à la normale, et une altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps (dysmorphophobie : perception d’être en surpoids ou obèse alors que cela n’est pas le cas).
Le caractère chronique de ce trouble (évolution dans la moitié des cas vers une forme chronique) et sa forte mortalité (environ 1% par an) en font un trouble redoutable, pour lequel les cliniciens et les chercheurs cherchent à essayer de mieux en appréhender les facteurs de vulnérabilité. Ceci permettrait en effet de développer des thérapeutiques innovantes pour ces patients.
Parmi les multiples causes de l’anorexie mentale, une piste de recherche intéressante consiste à comparer l’anorexie mentale aux addictions, et de chercher à utiliser dans ce champ des approches ayant démontré la preuve de leur efficacité dans les addictions.
Un des modèles neurobiologiques central dans la compréhension des addictions implique le système de récompense, dont les anomalies pourraient expliquer une variété de conduites addictives. Une des structures clés impliquée dans le système de la récompense est le système des ganglions de la base qui jouent un rôle dans la formation des habitudes (« habits », c’est à dire des comportements qui sont effectués sans que l’on en ait conscience, c’est à dire des comportements réalisés sans représentation du pourquoi on le fait) et de l’apprentissage en général (notamment vis à vis de récompenses). Un exemple classique de « habit » est le fumeur qui, dans une situation où il a l’habitude de fumer, va commencer à ouvrir son paquet et à fumer avant même d’avoir conscience de sa motivation ou non à fumer. Si leur contribution est bien démontrée dans le champ des addictions, leur participation à l’anorexie mentale reste à encore à éclaircir (il pourrait notamment exister des « habits » alimentaires ou liés à l’activité physique).
L’objectif de cette recherche, dirigée par l’équipe de Kate Tchanturia du King’s College de Londres, était d’évaluer le volume et la forme de différentes structures constituant les ganglions de la base (ex. : noyau caudé, putamen, nucleus accumbens et globus pallidus) chez des personnes souffrant d’anorexie mentale, et de les comparer à des personnes sans anorexie mentale. Ils ont également étudié le lien entre l’anatomie de ces structures et l’intensité des symptômes d’anorexie mentale. Pour cela, ils ont utilisé des techniques d’imagerie (IRM 1,5 Teslas avec traitement des images) auprès de 46 patientes et 56 contrôles, avec une évaluation précise du comportement alimentaire.
Quels en sont les résultats ? Contrairement à ce qui était attendu, il n’a pas été démontré de modification du volume des ganglions de la base chez les patientes souffrant d’anorexie mentale. En revanche, il existait une modification de la forme de ces structures, avec une déformation vers l’intérieur du noyau caudé gauche, du nucleus accumbens droit et de la partie ventrale et interne des globus pallidus, ainsi qu’une déformation vers l’extérieur de la partie moyenne et postérieure du globus pallidus droit. Il n’y avait pas de corrélation entre ces altérations neuro-anatomiques et l’intensité des symptômes d’anorexie mentale, mais un Indice de Masse Corporelle plus faible était associé à des déformations du putamen.
Selon ces chercheurs, ce travail est compatible avec un modèle addictologique de l’anorexie mentale (tout du moins, pour certains de ces patients), avec la démonstration d’une altération des structures à la base des processus de formation des habitudes et de traitement de la récompense.
En pratique, on peut retenir que cette recherche est en accord avec une conceptualisation addictologique du trouble pour certains résultats, mais uniquement pour certains résultats. En effet, l’absence de modification du volume des ganglions de la base n’était pas un résultat attendu. Le papier et sa discussion sont centrés sur les modifications de forme de certaines zones, dont on ne sait pas si cela était des hypothèses constituées avant la recherche ou si ce papier est basé sur des résultats post hoc définis après l’absence de démonstration de différences de volume. De plus, il faudrait démontrer une relation entre modifications neuro-anatomiques et symptômes de la maladie pour démontrer une telle causalité. Les auteurs évoquent la nécessité d’étudier les connectivités structurelles et fonctionnelles de ces structures pour pouvoir avancer dans ce domaine.
Ce manque de résultats significatifs dans l’échantillon total pourrait s’expliquer par le fait que seule une sous-population de personnes souffrant d’anorexie mentale pourrait présenter des modifications de ces structures en lien avec leur maladie, mais encore faudrait-il pouvoir définir à priori les caractéristiques cliniques et biologiques de cette sous-population.
Un article de Paul Brunault