Quels sont les profils à risque de mésusage du méthylphénidate ?

Autres addictions comportementales

Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) est un trouble du neurodéveloppement qui toucherait environ 5,9 % des enfants et 2,5 % des adultes. La prévalence n’aurait pas augmenté au cours des trois dernières décennies mais de par sa meilleure connaissance, il est plus souvent diagnostiqué aujourd’hui qu’au cours des décennies précédentes. Son origine serait multifactorielle et reste mal connue à ce jour.

Depuis 1995, un médicament psychostimulant existe dans cette indication : le méthylphénidate (MPH). D’abord réservé aux enfants (avec possibilité de  le poursuivre à l’âge adulte pour certaines spécialités), il a été l’année dernière autorisé également en initiation chez l’adulte en France.

Le méthylphénidate appartient à la classe médicamenteuse des amphétaminiques et possède un potentiel de dépendance et d’abus connu lié à son action dopaminergique similaire à la dextroamphétamine et la cocaïne. C’est pour cette raison entre autre, que sont accès est contrôlé (médicament stupéfiant ; prescripteurs limités…).

Les auteurs de cette étude (addictovigilance) ont cherché à connaitre l’ampleur de son abus en population générale à partir des bases de données régionales de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et de Corse de l’assurance maladie de 2005 à 2017.

Méthode : Ils ont utilisé les données de l’assurance maladie de leur région qui couvre 77 % des habitants soit plus de 4 millions de personnes entre 2005 et 2017. De cette base, ils ont extrait différentes variables comme : âge, sexe, couverture maladie universelle (CMU) ; nombre de prescripteurs différents de MPH ; nombre de pharmacies différentes pour la dispensation de MPH ; la présence ou non de médicaments associés tels que : benzodiazépines (BZD) (anxiolytique, antiépileptique et hypnotique), antidépresseurs, antipsychotiques, traitements de substitution aux opiacés (TSO), analgésiques opioïdes…

Ils ont utilisé une méthode de classification fréquemment utilisée pour montrer les abus (plus de détails dans l’article).

Résultat : En 13 ans, le nombre de sujet exposé au MPH a été multiplié par 5,8 en PACA. 5,2 fois plus si on ne s’intéresse qu’aux enfants et 10 fois plus chez l’adulte. Sachant que l’augmentation la plus importante avait lieu dans la tranche d’âge 35-49 ans. La logique aurait voulu que la classe d’âge adulte la plus concernée soit les 18-24 ans qui poursuivent leur traitement au regard de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en vigueur sur cette période.

Les auteurs ont retrouvé 5 catégories de patients, dont 3 (n=530 patients) qui pourraient être qualifiés de « déviant » au regard du nombre de prescripteurs (docteur shopping avec entre 5 et 28 prescripteurs différents en moyenne selon les groupes), de pharmacies, du nombre de délivrances… Les deux autres groupes étaient plus en accord avec les recommandations (sujets jeunes, peu de délivrances ou régulières, 1 ou 2 prescripteurs…).

Concernant les groupes « déviants », ils étaient plus âgés (37/38 ans en moyenne) et leurs co-consommations de benzodiazépines, morphine, médicaments de substitution aux opioïdes étaient nettement plus marquées.

Le nombre de sujet ayant un comportement « déviant » a augmenté jusqu’en 2011 puis a diminué jusqu’en 2015 avant de remonter tout en restant à un niveau inférieur de 2011.

Au final, les auteurs estiment à environ 2 % de patients ayant un comportement déviant.

En conclusion,  le mésusage reste faible sur la population générale, mais nettement moins sur une population plus âgée, co-consommant, selon les groupes, des benzodiazépines à 84%, des antipsychotiques à 43 %, des antidépresseurs à 36 % et au deux tiers des TSO. C’est cette population (celle présente en addictologie) qui mérite toute l’attention du prescripteur pour éviter le mésusage du MPH. Les auteurs rappellent que la galénique a une importance puisque une précédente étude islandaise a montré que le Concerta® était moins  facilement injectable que la Ritaline®.

L’élargissement récent des conditions de prescription du MPH permettra une meilleure accessibilité du MPH pour les patients qui en nécessite.

Il faudra surveiller les signaux des potentiels abus qui en découleront et ne pas oublier de les transmettre à l’addictovigilance le cas échéant.

Perspectives :

Cette étude est intéressante car elle montre le profil des mésuseurs de MPH et invite surtout les addictologues à la prudence sur leurs prescriptions de MPH.

Néanmoins, il me semble qu’une des limites de cette étude ait été oubliée. En effet, que ce soit pendant l’étude ou actuellement, le MPH n’est pas remboursé chez l’adulte. Pendant l’étude, nous étions hors Autorisation de mise sur le marché (AMM), donc non remboursé.

Ainsi, si le MPH est prescrit seul, le pharmacien qui l’enregistre dans l’informatique, ne transmet pas l’information à l’assurance maladie. Il y a donc un biais car cette étude exclut ces patients.

Si le MPH est prescrit avec d’autres médicaments remboursés, alors dans ce cas, l’assurance maladie sera au courant de la présence de ce médicament (sans le rembourser) et donc sera inclus dans ce genre d’enquête.

Peut-être que ce biais est mineur et ne change pas les conclusions, mais faute de données, on peut en douter surtout que c’est un stupéfiant qui nécessite une prescription sécurisée.  Il n’est pas rare que des prescripteurs (surtout ceux qui n’utilisaient pas l’imprimante pour les supports sécurisés) ne mettent pas de façon manuscrite l’intégralité des traitements pris sur ce support et se contentent de ne mettre que les stupéfiants sur l’ordonnance sécurisée, le reste sortant de l’imprimante sur papier standard.

NB : A ce jour, malgré l’AMM chez l’adulte, le MPH n’est toujours pas remboursé faute d’arrêté de prise en charge publié au Journal Officiel.

Par Mathie Chappuy

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