Traits de personnalité et addiction à Internet dans le monde

Autres addictions comportementales

Fin 2022, une large recherche interculturelle sur l’addiction à Internet a été publiée. Sa mise en œuvre a reposé sur l’investissement de 18 chercheurs et la participation de près de 8 000 personnes, dans 14 pays à travers le monde. Trois échantillons d’internautes représentaient le Moyen-Orient (Iran, Pakistan et Emirats Arabes Unis avec n = 1 406 participants), cinq l’Amérique du Sud (Brésil, Chili, Colombie, Equateur et Pérou avec n = 2 400) et six l’Europe (Finlande, France, Grèce, Italie, Roumanie et Turquie avec n = 3 920).

Dans l’échantillon total, plus de 40% des participants dépassait le score seuil de l’utilisation problématique d’Internet (entre 20 et 75% en fonction des pays) avec des différences significatives entre les échantillons. Ainsi, les scores moyens d’utilisation problématique les plus faibles concernaient les échantillons européens, et notamment français (M ≈ 17) et finlandais (M ≈ 18), tandis que les échantillons iraniens (M ≈ 24) et émiriens (M ≈ 27) obtenaient les scores les plus élevés. Le genre a été distingué dans les analyses permettant de confirmer au minimum une uniformisation des taux de prévalence entre hommes et femmes dans la majorité des pays. En France, au Pérou et au Pakistan, les hommes étaient davantage concernés.

Les objectifs de cette étude étaient de comparer les fréquences de l’addiction à Internet dans les échantillons de population de différents pays, mais aussi d’explorer les relations entre cette utilisation problématique et plusieurs variables liées à la personnalité : les traits de personnalité pathologiques, les mécanismes de défense, les stratégies de coping et l’estime de soi.

Les traits de personnalité explorés correspondent aux troubles de la personnalité, tels que référencés dans le DSM-5 (i.e., paranoïde, schizoïde, schizotypique, antisociale, limite, histrionique, narcissique, évitante, dépendante et obsessionnelle-compulsive). « Un trouble de la personnalité est un mode durable des conduites et de l’expérience vécue qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu, qui est envahissant et rigide, qui apparaît à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, qui est stable dans le temps et qui est source d’une souffrance ou d’une altération du fonctionnement. »[1] . Les analyses de corrélation ont mis en lumière la consistance du lien entre addiction à Internet et troubles de la personnalité. L’échantillon pakistanais présentait des résultats particuliers, avec seule une corrélation significative avec la personnalité limite. Les scores de personnalité schizoïde n’étaient pas significativement corrélés dans cinq échantillons, tout comme la personnalité paranoïde dans l’échantillon émirien. Hormis ces résultats, l’ensemble des troubles étaient significativement associés à l’utilisation problématique d’Internet. Les analyses de régression suggèrent que les scores d’addiction à Internet peuvent trouver une part d’explication dans sept traits de personnalité ; en France par les personnalités antisociales et narcissiques.

Mécanismes de défense (e.g., déni, passage à l’acte, …) et stratégies de coping (e.g., évitement, résolution de problème, …) sont quant à eux des processus mis en œuvre, respectivement de manière automatique et de manière consciente, comme réaction à une situation anxiogène. Ces variables étaient toutes corrélées avec l’utilisation problématique d’Internet dans cette étude, avec des différences importantes en fonction des pays. Comme dans de précédentes études, les défenses matures étaient ainsi moins fréquemment corrélées de manière significative que les défenses immatures, névrotiques ou autistiques (comme en France).

Enfin, l’estime de soi, qui correspond au jugement qu’une personne a d’elle-même, était corrélée négativement à l’addiction à Internet dans sept échantillons. Dans quatre échantillons d’Amérique du Sud (sur 5), la corrélation était positive. C’est également le cas en France mais la corrélation était faible et non significative. Ces résultats, comme ceux retrouvés pour les troubles de la personnalité en France, soulèvent la question de la façon d’être aux autres et en relation avec eux depuis l’ère du numérique mais aussi celle des standards sociétaux et de la pression qu’ils exercent sur les individus.

Pour conclure, il est ici éclairé l’importance des différences culturelles. Par sa méthodologie, cette étude permet de confirmer et de remettre en question des résultats déjà observés, notamment concernant la prévalence, les liens entre utilisation problématique d’Internet et troubles de la personnalité, et estime de soi.

 Par Stéphanie Laconi

Source : A Cross-cultural exploration of problematic Internet use, pathological personality traits, defense mechanisms, coping strategies, and selfesteem in 14 countries.

Retrouvé sur : https://doi.org/10.1016/j.amp.2022.09.008

[1] American Psychiatric Association. (2015). DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (traduit par J.-D. Guelfi et M.-A. Crocq; 5e éd.). Elsevier Masson.